Dossiers et enquêtes
01/10/2019
Élections

Municipales 2020 Candidats ou pas ? Les intentions des élus à six mois du scrutin

Les élections municipales se dérouleront les 15 et 22 mars 2020. Les candidatures devront être déposées au plus tard le 27 février à 18 heures. À six mois du scrutin, Maires de France interroge les élus sortants sur leurs intentions. L'occasion de revenir sur le sens de leur engagement dans une société de plus en plus exigeante, violente et individualiste.

La situation est paradoxale et ne manque pas d’interroger : un maire sur deux ne comptait pas se représenter en 2020 selon l’enquête de l’Observatoire de la démocratie de proximité AMF-Cevipof publiée en novembre 2018 (1), sobrement intitulée « Les maires de France entre résignation et renoncement ». Huit mois plus tard, une nouvelle enquête de l’Observatoire sur «Les attentes des Français vis-à-vis de leur maire », publiée en juillet dernier, a valeur de plébiscite pour les élus locaux : 3 Français sur 4 estiment que leur maire a accompli depuis 2014 un travail « excellent » (12 %) ou « bon » (63 %). Et, logiquement, « 61 % » des personnes interrogées souhaitent que leur maire soit de nouveau candidat en 2020 dont 58 % espèrent qu’il soit reconduit dans ses fonctions ! 
Les élections municipales de 2020 seront-elles un rendez-vous manqué entre les maires et leurs administrés ? Les maires, «qui restent les représentants politiques bénéficiant du niveau de confiance le plus élevé de la part des Français, stable depuis une dizaine d’années au niveau de 60 % », rappelle Martial Foucault, directeur du Cevipof, vont-ils cependant jeter l’éponge en masse ? L’enquête sur leurs intentions, qui sera réactualisée en novembre prochain et présentée lors du 102e Congrès de l’AMF, donnera une nouvelle indication de leur état d’esprit.   

61 %  des personnes interrogées souhaitent que leur maire soit de nouveau candidat en 2020 dont 58 % espèrent qu’il soit reconduit dans ses fonctions. (Source : 2e enquête de l’Observatoire de la démocratie de proximité AMF-Cevipof, juillet 208).

À six mois du scrutin des 15 et 22 mars, les élus interrogés par Maires de France se partagent pour leur part en trois catégories : ceux qui annoncent d’ores et déjà se réengager, les indécis et ceux qui renoncent. Les raisons invoquées par les élus des deux dernières catégories recoupent en grande partie celles avancées par leurs collègues interrogés fin 2018 : la volonté de privilégier leur vie personnelle et professionnelle, l’impression d’avoir «fait leur devoir civique », la complexité du mandat et le manque de moyens financiers. Mais aussi la difficulté croissante de satisfaire les besoins de leurs administrés. 
Là encore, un nouveau paradoxe : si «le rôle des maires comme médiateurs d’insatisfactions grandissantes dans la société ou bâtisseurs visibles d’un cadre de vie de qualité explique pour partie l’attachement des Français à leur fonction et au rôle social qu’ils assument », note le Cevipof, ces mêmes Français sont de plus en plus exigeants à leur égard. Les maires «déplorent une relation de plus en plus individualiste entre le citoyen et son représentant municipal », les citoyens ayant souvent «une relation consumériste » vis-à-vis du maire, entre «citoyen contribuable et maire fournisseur de services », souligne Martial Foucault. Les violences et incivilités commises contre les élus, dont le paroxysme a été atteint cet été avec le décès du maire de Signes (83), Jean- Mathieu Michel, illustrent crûment le niveau de tension dans lequel nombre d’élus, urbains comme ruraux, exercent leur mandat. Et peuvent aussi altérer la volonté de s’engager ou de se réengager comme en témoignent plusieurs élus dans ce dossier. 

Améliorer les conditions d’exercice du mandat local
Soucieux d’éviter une crise des vocations, le Parlement et le gouvernement ont décidé d’agir. Le Sénat a lancé, cet été, avec le soutien de l’AMF, une grande consultation des maires sur les menaces et les agressions auxquelles ils sont confrontés dans l’exercice de leur mandat. Objectif : proposer un plan d’action à l’automne pour préserver «leur sécurité et la dignité de leur mandat ». Le gouvernement introduira également des mesures sur ce sujet dans le cadre du projet de loi « engagement et proximité » dont la Haute assemblée entame l’examen début octobre (lire p. 32). Ce texte comporte aussi un important volet destiné à faciliter les conditions d’exercice du mandat local car le bénévolat républicain a trouvé ses limites face à la complexité croissante et au caractère chronophage de la charge municipale.    
Ces mesures nouvelles suffiront-elles ? « Le Parlement et le gouvernement seront au pied du mur pour traduire en actes leur volonté de répondre aux attentes qui s’expriment », prévient François Baroin. Au-delà de leurs décisions personnelles, les élus sortants candidats à leur réélection ou les primo-candidats ont en tout cas leur feuille de route toute tracée par les Français. La préservation de l’environnement, le maintien et le développement des services de proximité sont les deux priorités qu’ils fixent aux maires pour le prochain mandat. «Le pouvoir local est moderne parce qu’il est proche des personnes dans un monde qui les globalise, rappelle le président de l’AMF. Le maire est au cœur de la République. » Un acteur précieux qu’il faut soutenir et préserver. 
 Estelle CHEVASSU, Sarah FINGER et Xavier BRIVET
(1)    Lire Maire info du 15/11/2018. www.maire-info.com

 

Questions à...  Martial Foucault,    
directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof)
« IL EST URGENT DE REVITALISER LA DÉMOCRATIE MUNICIPALE »
Un maire sur deux renoncerait à se représenter en 2020 alors que les Français plébiscitent leur élu. Comment expliquer ce paradoxe ?
La fonction de maire, aussi essentielle soit-elle au bon fonctionnement d’une démocratie territorialisée, recouvre des compétences de plus en plus complexes et de moins en moins représentatives. Combiné à cela, on observe une forte montée d’une forme de consumérisme de la chose publique que les maires ne peuvent pas nécessairement enrayer. Du côté des administrés, l’appréciation du maire suggère une forte demande de proximité, de personnalisation de la fonction de représentation et d’ancrage dans un territoire. Si paradoxe il y a, il tient davantage au rôle de l’État qui n’est pas encore parvenu à prendre la mesure de l’urgence d’une démocratie municipale à revitaliser en accroissant les libertés locales. 
Les mesures gouvernementales destinées à améliorer les conditions d’exercice du mandat local suffiront-elles à susciter des vocations ?
Le projet de loi «engagement et proximité » va dans le sens d’une meilleure reconnaissance des maires. Mais il ne permet pas véritablement de créer de fortes incitations à l’engagement municipal, surtout pour les salariés actifs. En revanche, le gouvernement apporte une réponse, certes à la charge du budget des municipalités, pour favoriser la féminisation des conseils municipaux par le remboursement des frais de garde lors des réunions.
Quels seront les principaux défis que les élus devront relever lors du prochain mandat ?
La transition écologique est l’enjeu principal. Mais les compétences municipales, voire intercommunales, ne permettent pas aujourd’hui d’élaborer une action publique locale conforme à l’idée de protection d’un bien commun. Certes, des initiatives vont dans la bonne direction, mais suffiront-elles à satisfaire l’exigence des citoyens sur cet enjeu ?  
Propos recueillis par X. B.
 

Se représenter en 2020 ? La parole aux maires
Maires de France a interrogé une vingtaine d’élus sur leurs intentions. L’occasion de revenir sur le sens de leur engagement au service des citoyens.


Ils se réengagent
Il y a encore beaucoup de choses à faire ! » Christian Teyssèdre, maire de Rodez (Aveyron) et président de Rodez Agglomération, a fait savoir qu’il était à nouveau candidat. Le journal municipal daté du mois de juin a dressé le bilan chiffré et détaillé de l’équipe susceptible de se réengager. Mais au-delà des résultats, ce maire élu en 2008 affirme que sa vraie motivation repose sur des projets. Son projet-phare ? Créer un nouveau musée dans le centre de cette ville déjà célèbre pour celui consacré à l’œuvre du peintre Pierre Soulages. «Ce nouveau musée, je veux le dédier au thème de la lumière », annonce-t-il fièrement, avant d’ajouter que sa ville a les moyens de mener à bien d’autres chantiers : «Je veux ouvrir une quatrième maison de retraite. Ainsi qu’une quatrième maison de santé. » 
Selon Christian Teyssèdre, la majorité des maires de Rodez Agglomération souhaitent, eux aussi, se représenter aux prochaines municipales : «Ici, nous ne pâtissons pas de clivages politiques, nous travaillons tous ensemble. Les communes sont bien gérées, le taux de chômage est bas, nous avons de la trésorerie… » 

Poursuivre l’action mise en œuvre
Parmi ses «voisins » de Rodez, Jean-Philippe Sadoul, maire de Luc-la-Primaube (environ 6 000 habitants), confirme qu’il est candidat pour un troisième mandat, non sans avoir pesé les conséquences de sa décision : «C’est vrai qu’il est difficile de concilier la casquette de maire et celle de chef d’entreprise, comme je le fais. Mais j’en suis encore physiquement capable, et je suis passionné par ce que je réalise en tant que maire. » De plus, lui aussi est motivé par un grand projet : un parc d’expositions doit voir le jour sur sa commune. « Trois mandats, cela me semble être une durée suffisante pour concrétiser les projets qu’on avait en tête lors de sa première élection, explique Jean-Philippe Sadoul. Car les choses mettent du temps à se réaliser, surtout quand on s’investit dans des projets d’urbanisme. »
Tel est également le constat de Robert Crauste, maire du Grau-du-Roi (Gard, 8 500 habitants) depuis 2014, et candidat annoncé à sa succession : « Six ans à l’échelle de la vie d’une collectivité, c’est très court. Il nous faut poursuivre le programme et les orientations, continuer l’action mise en œuvre. » L’élu reconnaît toute­fois que le quotidien d’un maire n’est pas de tout repos : « Nous devons faire face à un nombre croissant de prérogatives et de responsabilités. Nous sommes soumis aux difficultés financières. Les réseaux sociaux impactent et complexifient la vie publique… » Pourtant, ce médecin qui entend avant tout rester « positif » affirme ne pas avoir hésité avant de prendre sa décision, annoncée début 2019.
L’avenir financier pèse évidemment sur le choix des élus de se représenter sans toutefois les en dissuader. « Nous avons perdu depuis 2014 plus de 300 000 euros d’aides et de subventions. Mais on doit maintenir le service. Et parfois on doit stopper. C’est soit ça, soit je demande aux administrés de payer la facture avec leurs impôts. Je trouve que c’est injuste. Pour les six ans à venir, le mandat va être compliqué au niveau social et financier. Il n’y a plus d’argent et il va falloir faire face à la gronde de la population qui monte », constate Corinne Coudereau, maire de Valdoie (Territoire-de-Belfort, 5 340 habitants), qui reste toutefois motivée et a décidé de se représenter. Difficile également de se projeter quand il y a de l’incertitude, selon Brigitte Monnet, maire de la commune nouvelle de Val Sonnette (Jura, 938 habitants), elle aussi candidate à sa succession. «Il faudrait que les équipes municipales puissent connaître à moyen terme quelles seront les évolutions législatives. La création de la commune nouvelle a été bénéfique. Cela va bientôt faire 3 ans mais on aimerait savoir ce qui va se passer et avoir l’assurance de ce qui va rentrer dans les caisses. Quand les maires décident de ne plus y aller, je pense que c’est aussi par lassitude de voir que l’État joue avec nous, avec nos moyens. On nous demande de faire des efforts, ce que l’on fait, mais il ne faut pas que ce soit au détriment du bien vivre et des services à la population. Il faut que les maires soient plus consultés. » 


Ils s’interrogent
 D’autres élus hésitent encore, à l’image de Bernard Boursinhac, maire d’Entraygues-sur-Truyère (Aveyron, 1 087 habitants). Ce retraité de la fonction publique est en effet partagé entre certains constats peu enthousiasmants et les services qu’il pourrait encore apporter à sa commune. « Il faut bien reconnaître qu’un village comme le nôtre n’a guère de pouvoir de décision ni de représentativité suffisante au sein de l’intercommunalité. Les compétences les plus décisives sont désormais gérées ailleurs, déplore-t-il. De plus, les bonnes volontés s’essoufflent : ceux qui participaient aux commissions en début de mandat ne se déplacent plus beaucoup… » À cela s’ajoute, « bien sûr », la baisse des moyens dont dispose le village. Mais Bernard Boursinhac reconnaît que la pression des habitants pourrait bien peser sur sa décision. Pour l’heure, il préfère ne pas trop y penser : « Je me déciderai sans doute en fin d’année, après en avoir parlé au conseil municipal. »
Annelyse Duron fera de même : maire depuis 2008 du Quartier, un village de 214 habitants situé dans le Puy-de-Dôme, elle aussi se décidera en fin d’année. Elle raconte : « Depuis plusieurs mois, les habitants m’interpellent : “Si vous n’y allez pas, que va-t-on faire ?” De mon côté, je m’interroge beaucoup… » L’élue doit en effet jongler entre son foyer, sa profession d’agent des finances publiques et ses fonctions municipales. Ses trois semaines de congés d’été, elle les a passées en mairie, à raison de dix heures par jour, pour «rattraper le retard administratif ». 
Après s’être investie sans compter durant toutes ces années, elle aimerait enfin lever le pied… «Le problème, dit-elle, c’est que je ne vois personne pour prendre la suite. » De plus, elle ignore encore qui, dans son équipe, serait prêt à se réengager : «Je dois m’assurer que mon premier adjoint est d’accord pour repartir à mes côtés car sans lui, ce sera très compliqué… De même, s’il faut renouveler 6 ou 7 personnes dans notre équipe qui en compte 11, je ne vois pas comment faire… Car ce qui est certain, c’est qu’un maire seul n’est rien. » 

Savoir passer la main
Cette analyse recoupe les réflexions que livre Jean-Luc Savy, maire de Juvignac (Hérault, environ 11 000 habitants), proche de Montpellier. Tandis que s’achève son premier mandat, il confesse être, lui aussi, «dans un processus de décision ». Et s’interroge : « Se représenter, mais pour quelles ambitions ? Avec quelle vision pour le territoire ? Et quelle équipe ? Pour apporter quelles innovations ? Les élus doivent délaisser leur pouvoir au profit des habitants. Mes projets s’articulent autour de cette question de méthodologie : comment les impliquer toujours davantage… » À l’heure où il dresse son « bilan personnel », Jean-Luc Savy rappelle qu’un maire s’engage pour un « mariage » de six ans, et non de douze. Autrement dit, il doit se remettre en cause, tout comme les membres de son équipe, à chaque étape. Mais comment savoir s’il est temps de quitter la scène municipale ? Faut-il écouter son corps, son cœur, ou ses électeurs ? 
Depuis quatorze ans, Françoise Givaudin, 71 ans, maire de Bœurs-en-Othe dans l’Yonne (350 habitants), s’investit énormément avec son conseil, « aussi bien dans la mairie que sur le terrain ». Il faut dire que le village compte 26 hameaux dont le territoire est assez étendu. Dès le début, en 2005, nombre d’actions ont été réalisées, «c’est d’ailleurs ce qui m’a poussée à continuer pour finir ce que nous avions commencé ». Depuis le mois de mars 2019, d’importants travaux d’assainissement sont réalisés dans un hameau ainsi que la réfection de la place de l’église. « C’est une course et parfois c’est épuisant. » C’est pourquoi Françoise Givaudin est actuellement en pleine réflexion. «Il y a quelques mois, j’ai souhaité ne plus repartir. Lors de la dernière réunion du conseil municipal, une partie de mes conseillers m’a dit qu’ils me suivraient si je continuais. Mon opinion a aussi changé du fait de ma situation personnelle qui me donne aujourd’hui plus de disponibilités. D’autant qu’il y a encore des actions intéressantes à mener pour notre village. »  
« Après trente-sept années de mandat, et pour la première fois, je suis hésitant et dans une profonde réflexion », reconnaît Christian Bilhac, maire de Péret (1 000 habitants) et président de l’Association des maires de l’Hérault. «J’ai toujours la passion, et des projets, mais je réalise que les moins de 40 ans n’ont connu que moi comme maire… Et je marie désormais les enfants de personnes que j’ai mariées jadis ! »  
Chaque jour ou presque, les habitants de son village lui rappellent l’échéance : «Ils me disent qu’ils ont encore besoin de moi, qu’ils comptent sur moi… Mais en 30 ans, le mandat d’élu local a beaucoup évolué, il est beaucoup plus lourd qu’autrefois. » Selon Christian Bilhac, voilà une des raisons pour lesquelles les plus jeunes hésitent tant à se (re)présenter : aujourd’hui comme hier, difficile de concilier un mandat et une carrière professionnelle. Lui-même, qui travaillait dans la fonction publique territoriale, en a fait la douloureuse expérience : «Que ce soit dans le public ou le privé, on préfère ne pas embaucher un maire, du fait de ses absences répétées… Un mandat d’élu local peut donc se révéler professionnellement très pénalisant. Personnellement, pour mes 37 ans donnés à la République, je toucherai 200 € nets par mois. Or, j’ai renoncé pour ce mandat à une évolution de carrière plus favorable… » 
Aujourd’hui, Christian Bilhac affirme qu’il « n’hésitera pas à passer la main », d’autant que « plusieurs personnes dans l’équipe peuvent prendre la relève ». Encore faut-il qu’elles en aient envie, et que son retrait n’enclenche pas une guerre de succession. Dans ce cas, dit-il, « je ne laisserai pas le village se déchirer ».


Ils ne se représentent pas
 Cette transition et « ce qu’il se passe après », Pierre-Emmanuel Bégny, maire de Saâcy-Sur-Marne (Seine-et-Marne, 1 796 habitants), y sera attentif et assure qu’il y aura « un passage de relais ». Une situation qu’il n’a pas connue lors de son arrivée en 2014 et qu’il déplore. « La situation était difficile, l’équipe précédente ne nous avait laissé aucun dossier… Il faut garder en tête que c’est pour l’intérêt de la commune ! » Pour le jeune maire de 34 ans, ce sera finalement le seul mandat, sans regret. « Je suis plutôt satisfait de mon bilan, on a réussi à baisser les impôts cette année, la situation de la commune est saine et nous avons engagé des travaux structurants. » Si la fonction est « hyper intéressante », le contexte national et les contraintes que fait peser l’État sur la gestion, les demandes des administrés de plus en plus consommateurs et dans l’immédiateté, les concessions sur sa vie personnelle et professionnelle, le fait « d’être sur le pont 7 jours sur 7 » l’auront finalement poussé à ne pas y retourner. « Il y a énormément de gens qui ne se rendent pas compte du revers de la médaille. Je m’étais préparé à la gestion de l’administration mais pas à tout ça. Heureusement, il y a une équipe derrière moi. »  
À Malta (Saône-et-Loire, 290 habitants), Bernard Morlet, lui aussi, témoigne de que cela veut dire d’être un maire en milieu rural. «Une fuite d’eau, une vitre cassée dans la salle polyvalente, des habitants qui viennent se confier… Le maire doit s’occuper de tout et tout le temps. Dans nos petites communes, il a un rôle important à jouer, souvent un rôle social », confie-t-il. Au total, il aura « donné » 44 ans à la vie communale, dont deux mandats de maire, «44 années enrichissantes, durant lesquelles j’ai appris beaucoup et tiré certaines satisfactions mais je ne me représente pas ». 

Concilier mandat et situation professionnelle
La raison ? Un vrai découragement dû à un important dossier qu’il aura porté « durant des années, sans soutien », explique-t-il et qui ne verra pas le jour. Pour autant, l’actuel maire se soucie de la suite, avec inquiétude. «Les gens ont conscience des difficultés. Ça doit peut-être faire peur mais je souhaite vraiment que quelqu’un se lance pour la commune. » 
Olivier Pavy, maire de Salbris (5 320 hab., Loir-et-Cher), avance « deux raisons principales » qui l’ont poussé à renoncer à se représenter : « La première repose sur le sentiment de la “mission accomplie”. J’ai été élu en 2014 sur un programme qui devait rétablir une situation financière et budgétaire “saine” et faire aboutir des projets de développement économique pour renforcer l’attractivité du territoire et notamment de notre centre-ville. Aujourd’hui, c’est le cas. Je tenais aussi à ce qu’en terme d’organisation intercommunale, nous puissions construire un territoire dans le sud du Loir-et-Cher le plus cohérent possible en créant une communauté d’agglomération. Ce sera le cas en 2021. J’ai donc le sentiment de “passer la main” dans une commune dont les projets sont enclenchés et pérennisés. J’ai proposé à ma deuxième adjointe de se présenter… elle y réfléchit encore. Mais je la soutiendrai ! La seconde raison ou motivation pour laquelle je ne souhaite pas me représenter est liée à ma situation professionnelle. J’ai dû aménager mon temps de travail pour accomplir mon mandat de maire, véritable “couteau suisse” qui doit pouvoir répondre à tout, tout de suite. 
J’ai “ouvert” mon téléphone portable de maire en mars 2014 et, depuis, il est toujours allumé, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24… Ceci n’a pas facilité ma carrière professionnelle. Aujourd’hui, je dois donc reprendre mes activités à plein temps. Il y a un problème de compatibilité entre l’exercice du mandat et la vie professionnelle. L’inadéquation juridique et financière du statut de l’élu est aussi flagrante par rapport aux responsabilités que nous portons en tant que maire. Quoiqu’il en soit, ce mandat a été très riche, humainement et intellectuellement. » 
E. C., S. F. et F. M.


Jean-Philippe Sadoul,maire de Luc-la-Primaube (Aveyron, 6 000 habitants)  
« C’est vrai qu’il est difficile de concilier la casquette de maire et celle de chef d’entreprise, comme je le fais. Mais j’en suis encore physiquement capable, et je suis passionné par ce 
que je réalise en 
tant que maire. »

Corinne Coudereau, maire de Valdoie (Territoire-de-Belfort, 5 340 habitants) 
« Pour les 6 ans à venir, le mandat va être compliqué au niveau social et financier. Il n’y a plus d’argent et il va falloir faire face à la gronde de la population qui monte.»

Bernard Boursinhac, maire d’Entraygues-sur-Truyère (Aveyron, 1 087 habitants)  
« Un village comme le nôtre n’a guère de pouvoir de décision ni de représentativité suffisante au sein de l’intercommunalité. Les compétences les plus décisives sont désormais gérées ailleurs. »

Annelyse Duron, maire du Quartier (Puy-de-Dôme, 214 habitants) 
Depuis plusieurs mois, les habitants m’interpellent : 
« Si vous n’y allez pas, que va-t-on faire ? » De mon côté, je m’interroge beaucoup… »  

Jean-Luc Savy, maire de Juvignac (Hérault, environ 11 000 habitants)
« Se représenter, mais pour quelles ambitions ? Avec quelle vision pour le territoire ? Et quelle équipe ? Pour apporter quelles innovations ? »

Olivier Pavy, maire de Salbris (Loir-et-Cher, 5 320 habITANTS) 
« J’ai “ouvert” mon téléphone portable de maire en mars 2014 et, depuis, il est toujours allumé, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24… Ceci n’a pas facilité ma carrière professionnelle. Aujourd’hui, je dois donc reprendre mes activités à plein temps. Il y a un problème de compatibilité entre l’exercice du mandat et la vie professionnelle. »


Le gouvernement veut améliorer les conditions d’exercice du mandat
Le projet de loi «engagement et proximité », dont le Sénat entame l’examen début octobre, généralise les congés sans solde de 10 jours pour faire campagne et améliore les conditions d’exercice des mandats locaux (remboursement des frais de déplacement et de garde pour permettre aux élus de participer aux réunions, souscription obligatoire par les communes d’un contrat d’assurance couvrant la protection fonctionnelle des élus, dispositifs de formation…), des mesures qui reprennent pour l’essentiel des propositions de l’AMF et du Sénat. Il prévoit une revalorisation des indemnités par «la fusion des trois premières strates de population » au profit d’une strate unique « moins de 3 500 » habitants, avec une indemnité de 1672,44 € brut au maximum. 
L’AMF rappelle qu’en 2015 et 2016, elle avait obtenu que, par principe, l’indemnité maximum soit versée au maire, sauf demande contraire de sa part. En l’état, il reviendrait maintenant de nouveau au conseil municipal de délibérer sur le montant de l’indemnité du maire. Par ailleurs,
la hausse des indemnités prévue pour les maires et les adjoints des petites communes (évaluée théoriquement à 602 millions d’euros par l’étude d’impact du texte) ne sera pas prise en charge par l’État, contrairement aux frais de garde et à la protection fonctionnelle dans les communes de moins de 1 000 habitants. L’AMF, qui demande que l’État prenne à sa charge cette augmentation dans ces communes, formule des propositions complémentaires, notamment garantir le statut de « salarié protégé » aux maires et l’étendre à tous les adjoints.
Agressions : un frein à l’engagement ?
« Après l’agression et les jours qui ont suivi, je me suis demandé si ça valait le coup que je continue », se souvient Jean-Marc Bergia, maire de Saubens, (Haute-Garonne, 2 300 habitants).
C’était le 28 juillet dernier, des gens du voyage essayaient de s’installer sur un ­terrain malgré le fossé que la municipalité avait fait creuser pour leur en interdire l’accès. «Je leur ai barré le passage, ils m’ont projeté au sol plusieurs fois et menacé de m’écraser. » Dans un deuxième temps, quand les ecchymoses ont commencé à disparaître et face à l’afflux des soutiens, «des mails, des lettres et des visites, même de la part de personnes avec lesquelles je n’avais pas d’atomes crochus », l’élu a revu sa position et a décidé de se représenter. «Je me suis dit qu’en tant que maire, je pouvais faire évoluer les choses, que je pouvais toujours être utile. » 
Francis Boy (65 ans), maire de Saint-Ybars (Ariège, 646 habitants), agressé le 2 septembre dernier, ne se représentera pas. Il a été légèrement blessé en s’interposant lors d’une dispute familiale. «Il était 13h30, des voisins sont venus me chercher, raconte-t-il. J’ai réussi à désarmer la mère qui poursuivait sa fille d’une vingtaine d’années avec un couteau. » Les incivilités, les violences verbales qu’il entend depuis ses débuts «parce que les gens ne ­supportent pas l’autorité », lui semblent plus nombreuses depuis trois ans. Mais sa décision «était prise avant l’agression, explique l’élu. C’est mon deuxième ­mandat, c’est usant le pouvoir. Ne jamais savoir quelle dotation on aura est facteur de stress. »                  
Monique CASTRO


« Quelles sont les raisons de votre engagement ? »
Favoriser la participation citoyenne, améliorer le quotidien des habitants, transformer le cadre de vie sont les principales motivations exprimées par les élus.

Corinne Coudereau*, maire de Valdoie (Territoire-de-Belfort, 5 340 habitants)  
« Construire une nouvelle société »
« Je me suis engagée pour agir et aider à construire une nouvelle société.  Il faut apprendre aux gens à redevenir citoyens, à faire pour les autres et pour la commune. J’étais fonctionnaire, dans la communication, et tous ces beaux discours pour se faire élire, je les ai entendus. Il faut arrêter de vendre du rêve. Il faut parler vrai à nos citoyens qui sont en capacité de comprendre. Je demande souvent aux valdoyens de participer et je me sers des réseaux sociaux pour solliciter leur avis. Je suis là pour représenter leurs attentes. Même si c’est parfois dur, surtout quand on est une femme, la fonction de maire m’a fait changer. On apprend beaucoup et c’est aussi une prise de conscience. J’ai fait des choix et peut-être aussi des mécontents. Mais j’ai envie de travailler d’une façon participative, dans l’intérêt avant tout de la commune et non d’intérêts politiques ou personnels. »
* Elle a succédé à Michel Zumkeller en 2017.

Brigitte Monnet, maire de la commune nouvelle de Val Sonnette (938 habitants, Jura) issue de la fusion des communes de Bonnaud, Grusse, Vercia et Vincelles
« Faire que les habitants puissent bien vivre »
« Lorsque je me suis lancée en 2008, j’étais présidente d’une association de notre village et j’ai voulu avoir une action plus globale afin de porter des projets pour que les habitants puissent bien vivre. Nous avons diminué notre empreinte carbone et, dès 2009, cela s’est traduit à Vincelles par le zéro phyto bien avant la loi. Et il est indispensable de toujours travailler avec les habitants. En 2017, la commune nouvelle a été créée car s’unir permet de beaucoup mieux répondre aux attentes. Nous sommes aujourd’hui sur la mise en œuvre des projets à moyen et long terme et c’est ce qui me fait me réengager. C’est aussi le plaisir que je prends à cette fonction dans le contact avec les administrés, dans le fait de voir nos villages changer. Un investissement à temps plein pour lequel j’ai pris ma retraite anticipée pour bien faire les choses. Un choix que je ne regrette pas ! »

Daniel Jeannin,  maire de Montenois (Doubs,1 519 habitants)
« Transformer le village »
« Ma motivation en 1977, c’était l’avenir de notre village et de bâtir le bonheur des enfants. Nous étions une jeune équipe de militants, ouvriers à Peugeot, et avions comme thème “le village pour les enfants”. On a été élus sur le fil. Je ne devais pas être le maire mais les gens ont voté pour moi et je n’ai pas hésité. J’ai pris l’engagement d’aller jusqu’au bout, pour montrer que nous étions capables de gérer et nous avons beaucoup travaillé. J’ai eu à chaque fois l’envie de continuer. Nous avons transformé Montenois, qui est passé d’un village en retard et meurtri par la guerre à un village dynamique et attractif. J’ai eu des moments difficiles, passé des nuits blanches. Être maire, c’est du temps plein ! Mais cette envie, elle est toujours là. J’ai d’ailleurs 20 ans de projets devant moi mais à 78 ans, il faut être raisonnable. Il me tient à cœur que ce que nous avons développé se poursuive et je veillerai à ce que la transition se passe bien. »


Ce que les Français attendent de leur prochain maire
Selon l’enquête AMF-Cevipof publiée en juillet dernier (1), «61 % » des Français souhaitent que leur maire soit de nouveau candidat en 2020 dont 58 % espèrent qu’il soit reconduit dans ses fonctions. Les élus devront privilégier deux priorités d’action publique dans les prochaines années, selon les personnes interrogées : la préservation de l’environnement et le développement ou le maintien des services de proximité. Cependant, la hiérarchie des priorités s’inverse entre les habitants des communes de taille différente. Les citoyens des communes de petite taille attendent ainsi du prochain maire «autant un engagement sur le maintien et le développement des services de proximité (20 %) qu’une politique environnementale sur le territoire de leur commune (19 %) ». Pour les communes de plus grande taille, la priorité est accordée avant tout à 
« la préservation de l’environnement (28 %), la sécurité publique (24 %), les services de proximité (22 %) et la baisse des impôts locaux (21 %) ». Interrogés sur les qualités attendues de leur maire, les Français citent par ordre décroissant l’honnêteté (40 %), le respect des promesses (19 %), la proximité (18 %) et la compétence (14 %). 

(1) L’enquête AMF-Cevipof/SciencesPo a interrogé 15 308 personnes inscrites sur les listes électorales, constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, entre le 14 et 26 juin 2019. www.amf.asso.fr (réf. BW39532).

 

n°372 - octobre 2019