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22/07/2022
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Incendies en Gironde : élus et bénévoles en première ligne du soutien logistique

Hébergement et ravitaillement des pompiers, information de la population, gestion des évacuations, lutte contre les reprises de feu... Les maires sont en première ligne pour soutenir les soldats du feu et leurs habitants. Reportage à Cabanac-et-Villagrains, Saint-Morillon et Saint-Michel-de-Rieufret.

Le maire de Saint-Michel-de-Rieufret (au centre), entouré de sa première adjointe, Isabelle Courbin (chasuble jaune) et d'une bénévole (chasuble bleue)
La maire de Cabanac-et-Villagrains (33) s’effondre soudain, en larmes. Ce 21 juillet après-midi, Anne-Marie Caussé, élue en 2020, est «épuisée », a «perdu la notion du temps » depuis l’évacuation en trois temps des 2 400 habitants de sa commune, entre le 13 et le 17 juillet, devant la progression inexorable de l’incendie qui a déjà ravagé plus de 13 000 hectares autour de Landiras, depuis le 12 juillet.

Cabanac-et-Villagrains fait partie des 15 communes qui ont dû être évacuées dans le sud de la Gironde. L’élue craque car elle a dû gérer, avec les membres de son conseil municipal et la gendarmerie, ces départs traumatisants, effectués en quelques heures après «un coup de fil du sous-préfet », accompagner psychologiquement les habitants, qui ont pour la plupart trouvé asile chez des amis et qu’elle tente de tenir informés de l’évolution de la situation sur la page Facebook de la mairie.

Les services de la commune (dix agents «dont certains ont annulé leurs vacances et sont revenus ») se sont installés, avec les élus, dans la salle du conseil municipal de la commune voisine de Saint-Morillon qui les accueille depuis lors, mettant à leur disposition tout le matériel de bureautique nécessaire.
 

La solitude des élus

Dans la commune déserte, ce 21 juillet, seuls Anne-Marie Caussé, ses adjoints et les bénévoles en charge du PC de ravitaillement des pompiers luttant sur le front de l’incendie sont présents. Avec les gendarmes, qui surveillent les maisons désertées et les voies d’accès au village. Les bénévoles (une cinquantaine d’habitants qui se relaient), gèrent les nombreux dons de particuliers et d’entreprises, les collectes effectuées auprès des supermarchés. Ils préparent quotidiennement, avec le renfort d’autres bénévoles basés dans la salle des fêtes de Saint-Morillon, des centaines de repas pour les soldats du feu.

La maire de Cabanac-et-Villagrains reste sans voix devant l’élan de générosité et la mobilisation des habitants. Elle titube de fatigue mais n’a pas le temps de se reposer. Le feu, à proximité de la commune, n’est pas encore «fixé » mais il est «contenu » depuis 48 heures. L’élue coordonne donc, en concertation avec les pompiers, l’intervention des bénévoles de la défense de la forêt contre l’incendie (DFCI) chargés, 24 heures sur 24, avec le renfort de la réserve citoyenne, de l’extinction des fumerons en lisière, pour prévenir toute reprise du feu. Ce travail de veille durera plusieurs semaines, voire plusieurs mois «car le feu sommeille très longtemps sous la tourbe et le vent peut relancer l’incendie à tout moment », explique l’élue. 

En ce 21 juillet après-midi, alors que le balai des Canadair est incessant car la lutte contre les flammes continue, Anne-Marie Caussé raconte sa solitude, celle de son conseil municipal, «pour gérer tout cela », l’État étant «peu présent », euphémise-t-elle. «Tout cela » : la colère de certains habitants qui «nous crient dessus » et veulent revenir à tout prix, les soins aux animaux domestiques restés sur place, la réquisition de matériels, les personnes malades qui veulent revenir chercher leur traitement médical, le suivi des personnes âgées.

« Tout cela » : les projets communaux brusquement interrompus, les nombreuses heures supplémentaires qu’il faudra régler aux agents. Et la gestion du retour des habitants : la préfecture de la Gironde procède actuellement à une analyse de la situation, secteur par secteur, et a annoncé, dans la soirée du 21 juillet, qu’une partie des habitants de Cabanac-et-Villagrains pouvaient réintégrer leur domicile.
 

« L'État nous a abandonnés »

Son homologue de Saint-Morillon (1 800 habitants), une commune située à quelques kilomètres, qui n’a pas été évacuée et accueille élus et agents de Cabanac, est beaucoup plus sévère vis-à-vis de l’État : «Les élus s’entraident, l’État, lui, nous a abandonnés. Je n’ai eu aucun appel ou mail de la sous-préfecture de Langon, déplore Laurence Bourgade, qui peine à contenir sa colère.

Élue maire en 2018, celle qui cumule son mandat avec la direction d’une pharmacie, s’emporte finalement : «Est-il normal que le ravitaillement des pompiers en nourriture, sérum physiologique, etc., incombe à des volontaires depuis neuf jours ? Est-il normal que l’État laisse les élus gérer la logistique à l’arrière du feu, sans se préoccuper de leurs besoins éventuels, sans proposer un renfort ou simplement pour nous dire un mot d’encouragement ?  Est-il normal qu’il ne se préoccupe pas des coûts de cette gestion de crise pour le budget communal que notre communauté de communes prendra à sa charge ? Est-il normal qu’il ne nous ait délivré aucune information quand la commune était envahie par les fumées ? C’est aberrant. L’État doit faire attention aux petites communes et les soutenir », conclue-t-elle, en soulignant que «la fatigue et la déception n’altère pas [sa] fierté d’être élue ». 

À quelques kilomètres, Saint-Michel-de-Rieufret accueille, depuis le 12 juillet, près d’une centaine de pompiers venus d’Île-de-France. Ils sont hébergés dans l’église, l’école communale et la salle des fêtes. La salle du conseil municipal a été réquisitionnée pour accueillir les nombreux dons (nourriture, produits de toilette…) de la population, des entreprises, des restaurateurs et traiteurs. Une quinzaine de bénévoles, habitants de la commune et des communes avoisinantes, revêtus d’une chasuble bleue, préparent quotidiennement plusieurs centaines de repas pour nourrir les soldats du feu, lavent et font sécher leurs vêtements, et répondent à toutes leurs sollicitations.

La commune accueille le PC opérationnel situé à 4 kilomètres du feu. Sur proposition du maire, Jean-Bernard Papin, au sous-préfet de Langon, elle est devenue un centre de ravitaillement des pompiers au front. «Nous avons accueilli d’un coup une centaine de pompiers ! La commune est pour eux une base arrière essentielle, témoigne l’élu. Chaque jour, un membre du conseil municipal est nommé coordonnateur des initiatives et les autres élus [arborant une chasuble jaune] participent aux multiple tâches ».

Le conseil départemental a prêté un camion réfrigéré, un magasin de sport des douches de campings pour les pompiers, la Croix-Rouge des lits picots. Les élus ne ménagent pas leur peine mais déplorent «l’absence de l’État qui ne répond pas à nos questions, souligne Isabelle Courbin, première adjointe au maire. Les pompiers vont être remplacés prochainement mais nous ne savons pas combien leur succèderont, ni quand. Comment préparer les repas dans ces conditions et dimensionner les approvisionnements ? »
 

Comment gérer le long terme ?

Ce 21 juillet, la commune a reçu la visite du président du département de la Gironde, Jean-Luc Gleyze, qui écoute et partage leurs doléances : «Les maires ont un plan communal de sauvegarde. Mais là, ils doivent gérer les choses à l’échelle d’un méga-feu, et l’État n’est pas à leurs côtés ! Il faut de la méthode, de la concertation, du soutien. Or les maires sont seuls. Il faudra un gros débriefing après cette crise pour élaborer un véritable plan d’intervention État-élus », estime-t-il. Hélène Ricard, directrice de l’association des maires de la Gironde (AMG), est également présente pour apporter son soutien aux élus, prendre note de leurs demandes que le président de l’AMG, Bernard Lauret, fera remonter à la sous-préfecture. L’AMF et l’AMG ont du reste publié, le 22 juillet, un communiqué commun dans lequel elles rappellent «qu’il est du ressort de l’Etat d’assurer la prise en charge des personnels engagés dans la lutte contre les incendies et des personnes évacuées. (…) Alors que la crise est appelée à durer, les maires ont besoin que l’Exécutif mette en oeuvre un dispositif spécifique.» 

En attendant, tout le monde se mobilise à Saint-Michel-de-Rieufret. La commune «a engagé environ 10 000 euros de frais depuis le 12 juillet auxquels s’ajouteront les heures supplémentaires des agents dont certains n’ont pas pris leurs vacances », précise le maire. Un coût qu’elle assumera. Une question taraude les élus : combien de temps ce soutien logistique va-t-il durer ? Car, une fois le feu éteint, pompiers et bénévoles de la DFCI devront participer à la «garde du feu » qui pourrait s’étaler jusqu’en octobre…. «Nous sommes organisé pour 8 à 15 jours, mais après ? L’État va-t-il mobiliser l’armée pour nous relayer ? », questionne Isabelle Coubin. La commune s’inquiète car les travaux dans l’école ont été interrompus pour accueillir les pompiers. Or, la rentrée scolaire viendra vite. 

À plus court terme, le maire doit libérer la salle du conseil municipal, encombrée de victuailles et de fournitures diverses, pour… célébrer un mariage. «Car la vie continue », se réjouit Jean-Bernard Papin. Sa première adjointe, toujours souriante bien que fatiguée, se félicite pour sa part de voir la mairie «plus que jamais transformée en maison commune des habitants, des bénévoles, de toutes celles et de tous ceux qui veulent s’investir. La fraternité et la solidarité ne sont pas que des mots ! »

 

Par Xavier Brivet
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