Ailleurs, des maires ont tenté d’actionner d’autres leviers pour combattre l’abstention : ils ont choisi d’impliquer leurs administrés dans le processus même de l’élection présidentielle en leur demandant de choisir quel candidat parrainer. C’est le cas de Jérôme Palmade, maire de Pia (Pyrénées-Orientales) : dans cette commune de 9 849 habitants, 8,7 % des électeurs se sont déplacés pour exprimer leur choix. Un pourcentage modeste mais dont se félicite le maire, qui souligne que près de 700 personnes sont venues à l’hôtel de Ville durant la première semaine de février pour glisser leur bulletin dans l’urne dans le cadre de cette «consultation citoyenne libre ».
La vidéo du dépouillement aurait comptabilisé 170 000 vues sur internet. Un vrai succès selon Jérôme Palmade : «J’ai lancé cette initiative car l’abstention élevée à Pia, de l’ordre de 40 %, m’interpelle. Je pense que cette désaffection pour la politique est liée à plusieurs facteurs : les électeurs ne savent pas quels dossiers gèrent les députés ou sénateurs, et on ne les invite pas à prendre part aux décisions. Si on les implique davantage dans la vie publique, on fera baisser le taux d’abstention. »
À Sainte-Anastasie-sur-Issole (Var, 2 073 hab.), le maire souhaitait organiser une consultation similaire. Mais la préfecture a retoqué cette initiative peu avant son organisation : « Les motifs sont multiples et incompréhensibles. Personnellement, j’ai été sidéré par cette décision, déplore Olivier Hoffmann. Certes, l’acte de parrainage doit être personnel et volontaire, mais mon objectif était d’intéresser nos 1 700 électeurs à l’élection présidentielle et de lutter contre l’abstention en évitant de m’exprimer moi-même sur ce sujet. »
Selon le maire, cette annulation a engendré « une grande frustration et un peu de colère » : «Soit les électeurs vont se mobiliser lors des prochaines élections pour signifier leur mécontentement, soit ils vont se réfugier dans l’abstention. Les deux réactions sont possibles. »
Un autre élu s’interroge sur les relations qu’entretiennent ses administrés avec la politique : Gérard Poujade, maire du Séquestre (Tarn, 1 946 habitants), a choisi de réaliser un documentaire pour prendre le temps de comprendre ce qui poussait les habitants de son village à voter, ou pas (lire ci-dessous).
À l’issue de cette entreprise qui a duré quatre mois, son verdict est sévère : « Avant de faire ce documentaire, je croyais que les électeurs voulaient se passer des élus mais au final, je pense que c’est l’inverse. Les témoignages que j’ai recueillis m’ont fait prendre conscience que les élus déroulent leurs programmes sans toujours tenir compte de leurs électeurs, et que les politiques ne souhaitent pas se soumettre à un contrôle des citoyens. Ce phénomène contribue à l’effondrement démocratique. »
Le 18 janvier dernier, Saint-Germain-en-Laye a accueilli une table ronde consacrée à la lutte contre l’abstention réunissant experts et élus. Organisée par le campus technologique et universitaire IXCampus en partenariat avec Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, cette conférence a permis à Arnaud Péricard de s’interroger sur les modalités des scrutins : « Pourquoi assiste-t-on à une forte demande d’implication citoyenne mais à une abstention électorale élevée ?
L’une des raisons de ce paradoxe repose sur un processus de vote archaïque, de la tenue des registres jusqu’au recomptage sur les listes d’émargement. » Selon le maire de Saint-Germain-en-Laye, « organiser le vote à distance permettrait d’augmenter les taux de participation, de réduire le nombre de bureaux de vote, de faire des économies. Hélas, on a peur en France des progrès technologiques. » Et le gouvernement a récemment écarté cette possibilité (lire Maire info du 07/02/2022).
Guillaume Guérin, président de Limoges Métropole (Haute-Vienne, 207 385 habitants), estime, lui aussi, que la France devrait permettre le vote à distance grâce à des cartes d’électeur dématérialisées et au vote électronique. « Ces propositions émanent d’une concertation organisée sur notre territoire en octobre entre des élus, des représentants institutionnels et des citoyens afin de faire émerger des propositions concrètes, explique-t-il. De même, une simplification des procurations et du vote par correspondance s’impose dans notre pays. »
L’élu souligne l’urgence de réformer le processus électoral : « Les élections municipales ont longtemps été épargnées par l’abstention. Mais depuis 2020, nous savons que ce phénomène nous concerne aussi. » L’abstention s’est élevée à 58,4 % au second tour, soit 20 points de plus qu’en 2014.