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10/03/2022
Citoyenneté Élections Vie locale

Lutte contre l'abstention. Les élus se mobilisent

Les taux élevés d'abstention aux élections inquiètent les maires, lesquels multiplient les initiatives pour endiguer ce nouveau fléau.

Jérôme Palmade, le maire de Pia (64, à droite), a organisé, en février, une « consultation citoyenne libre » pour savoir quel candidat à la présidentielle il devait parrainer.
Comment, en tant qu’élu, lutter contre l’abstention ? De nombreux maires s’interrogent et tentent d’apporter des réponses concrètes, qui vont de l’implication des jeunes dès l’âge de 16 ans dans la vie démocratique au transport adapté aux personnes handicapées les jours de scrutin, en passant par le maintien des emplacements des bureaux de vote afin de ne pas contrarier les habitudes des électeurs... Mais force est de constater que les communes concentrent volontiers leurs efforts sur les primo-votants. Pour rappel : au premier tour des élections régionales et départementales, en 2021, 87 % des 18-24 ans se sont abstenus…

Ainsi, à Albi (Tarn, 50 625 hab.), les cartes électorales ainsi qu’un livret citoyen sont remis aux jeunes au cours d’une cérémonie annuelle de citoyenneté. «  L’idée de départ n’était pas forcément de lutter contre l’abstention mais désormais, j’insiste auprès de ces nouveaux électeurs sur leurs droits et leur devoir d’aller voter, explique Stéphanie Guiraud-Chaumeil, maire d’Albi. Nous invitons parfois des assesseurs à cette cérémonie pour illustrer ce devoir de citoyenneté et l’importance d’y consacrer un peu de son temps. » Les jours de scrutin, la mairie d’Albi incite également les jeunes à voir concrètement comment se déroule un vote, et leur propose de participer au dépouillement : «  Cette expérience leur offre une première approche du processus », note Stéphanie Guiraud-Chaumeil.

La mairie de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines, 44 750 hab.) incite, elle aussi, les jeunes électeurs à assister au dépouillement, voire à tenir un bureau de vote : «  Nous multiplions les actions de citoyenneté, notamment auprès des lycéens et des étudiants, afin qu’ils s’inscrivent dans des actes symboliques de la démocratie », explique son maire, Arnaud Péricard. Les jeunes sont ainsi invités à se rendre dans un bureau de vote «  pilote » installé au centre administratif de Saint-Germain-en-Laye. Là, on leur explique comment se déroule, en pratique, un scrutin. «  L’idée est de les familiariser avec le processus du vote, poursuit Arnaud Péricard. Nous menons des actions similaires pour les personnes en situation de handicap afin que leur handicap ne soit pas un frein à leur participation électorale. »
 

Impliquer les administrés

Ailleurs, des maires ont tenté d’actionner d’autres leviers pour combattre l’abstention : ils ont choisi d’impliquer leurs administrés dans le processus même de l’élection présidentielle en leur demandant de choisir quel candidat parrainer. C’est le cas de Jérôme Palmade, maire de Pia (Pyrénées-Orientales) : dans cette commune de 9 849 habitants, 8,7 % des électeurs se sont déplacés pour exprimer leur choix. Un pourcentage modeste mais dont se félicite le maire, qui souligne que près de 700 personnes sont venues à l’hôtel de Ville durant la première semaine de février pour glisser leur bulletin dans l’urne dans le cadre de cette «consultation citoyenne libre ».

La vidéo du dépouillement aurait comptabilisé 170 000 vues sur internet. Un vrai succès selon Jérôme Palmade : «J’ai lancé cette initiative car l’abstention élevée à Pia, de l’ordre de 40 %, m’interpelle. Je pense que cette désaffection pour la politique est liée à plusieurs facteurs : les électeurs ne savent pas quels dossiers gèrent les députés ou sénateurs, et on ne les invite pas à prendre part aux décisions. Si on les implique davantage dans la vie publique, on fera baisser le taux d’abstention. »

À Sainte-Anastasie-sur-Issole (Var, 2 073 hab.), le maire souhaitait organiser une consultation similaire. Mais la préfecture a retoqué cette initiative peu avant son organisation : «  Les motifs sont multiples et incompréhensibles. Personnellement, j’ai été sidéré par cette décision, déplore Olivier Hoffmann. Certes, l’acte de parrainage doit être personnel et volontaire, mais mon objectif était d’intéresser nos 1 700 électeurs à l’élection présidentielle et de lutter contre l’abstention en évitant de m’exprimer moi-même sur ce sujet. »

Selon le maire, cette annulation a engendré «  une grande frustration et un peu de colère » : «Soit les électeurs vont se mobiliser lors des prochaines élections pour signifier leur mécontentement, soit ils vont se réfugier dans l’abstention. Les deux réactions sont possibles. »

Un autre élu s’interroge sur les relations qu’entretiennent ses administrés avec la politique : Gérard Poujade, maire du Séquestre (Tarn, 1 946 habitants), a choisi de réaliser un documentaire pour prendre le temps de comprendre ce qui poussait les habitants de son village à voter, ou pas (lire ci-dessous).
 

Témoignage
Gérard Poujade, maire du Séquestre(1 946 habitants, Tarn)
« J’ai réalisé un documentaire pour mieux comprendre »
« Les taux d’abstention dans ma commune m’ont interrogé. En tant qu’élu, soit je laissais faire, soit je poussais ma réflexion… J’ai donc décidé d’aller questionner dix habitants de ma commune pour mieux comprendre. À l’aide de mon téléphone portable, j’ai filmé les entretiens que j’ai menés avec cinq hommes et cinq femmes, âgés de 24 à 84 ans, de profils très différents, habitués à voter ou pas, tous représentatifs de notre population.
Entre juillet et septembre 2021, nous avons passé des heures en tête-à-tête à parler politique nationale et participation aux élections, mais aussi changement climatique, mondialisation, réseaux sociaux… Ces 25 heures de prises de vues ont donné naissance à un film d’une heure un quart, intitulé «La vie en commune, la vie en commun ». Je pensais ne le montrer qu’aux élus de mon conseil municipal mais on m’a convaincu de le diffuser et, depuis la mi-janvier, il a déjà été vu dans une quinzaine de salles.

À la suite de la projection, un débat ­s’engage avec les spectateurs, parmi lesquels figurent souvent des élus locaux. Ensemble, tous réagissent et s’expriment sur leur relation à la politique et à l’abstention. »

 

À l’issue de cette entreprise qui a duré quatre mois, son verdict est sévère : «  Avant de faire ce documentaire, je croyais que les électeurs voulaient se passer des élus mais au final, je pense que c’est l’inverse. Les témoignages que j’ai recueillis m’ont fait prendre conscience que les élus déroulent leurs programmes sans toujours tenir compte de leurs électeurs, et que les politiques ne souhaitent pas se soumettre à un contrôle des citoyens. Ce phénomène contribue à l’effondrement démocratique. »

Voter à distance ?

Le 18 janvier dernier, Saint-Germain-en-Laye a accueilli une table ronde consacrée à la lutte contre l’abstention réunissant experts et élus. Organisée par le campus technologique et universitaire IXCampus en partenariat avec Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, cette conférence a permis à Arnaud Péricard de s’interroger sur les modalités des scrutins : «  Pourquoi assiste-t-on à une forte demande d’implication citoyenne mais à une abstention électorale élevée ?

L’une des raisons de ce paradoxe repose sur un processus de vote archaïque, de la tenue des registres jusqu’au recomptage sur les listes d’émargement. » Selon le maire de Saint-­Germain-en-Laye, «  organiser le vote à distance permettrait d’augmenter les taux de participation, de réduire le nombre de bureaux de vote, de faire des économies. Hélas, on a peur en France des progrès technologiques. » Et le gouvernement a récemment écarté cette possibilité (lire Maire info du 07/02/2022).

Guillaume Guérin, président de Limoges Métropole (Haute-Vienne, 207 385 habitants), estime, lui aussi, que la France devrait permettre le vote à distance grâce à des cartes d’électeur dématérialisées et au vote électronique. «  Ces propositions émanent d’une concertation organisée sur notre territoire en octobre entre des élus, des représentants institutionnels et des citoyens afin de faire émerger des propositions concrètes, explique-t-il. De même, une simplification des procurations et du vote par correspondance s’impose dans notre pays. »

L’élu souligne l’urgence de réformer le processus électoral : «  Les élections municipales ont longtemps été épargnées par l’abstention. Mais depuis 2020, nous savons que ce phénomène nous concerne aussi. » L’abstention s’est élevée à 58,4 % au second tour, soit 20 points de plus qu’en 2014.
 

Renforcer la participation locale
Présenté à l’Assemblée nationale en décembre dernier, le rapport sur la participation électorale fait 28 propositions, dont certaines concernent directement les municipa­lités. Il est notamment suggéré de mettre en place un service public de transport des personnes en situation de dépendance les jours de vote, de développer les référendums d’initiative locale, les consultations et les ateliers citoyens...

Depuis, deux autres rapports ont suivi : l’un remis au Premier ministre (Rétablir la confiance des Français dans la vie démocratique de Patrick Bernasconi, ancien président du Cese, www.gouvernement.fr, rubrique Actualité), l’autre, de la Délégation aux collectivités territoriales du Sénat sur la démocratie implicative, www.senat.fr, rubrique Espace presse).

 

Sarah Finger
n°399 - MARS 2022