Dossiers et enquêtes
17/03/2022
Santé

Déserts médicaux. Les maires agissent sur le terrain

Le manque de praticiens prêts à reprendre la suite de ceux partant en retraite est devenu un casse-tête qui n'épargne plus aucun territoire. En prise directe avec l'inquiétude de leurs administrés, les maires se mobilisent, parfois à grand frais, pour recruter des médecins. Les maisons de santé sont la principale solution.

À Bourcefranc-le-Chapus (17), sur la route menant à l'Île d'Oléron, la municipalité a installé une banderole pour recruter deux médecins.
 

« Recherche médecin généraliste », « Layrac (47) recherche deux médecins », « la commune de ­Bourcefranc-le-Chapus (17) recherche médecins »… Ces messages, semés tels des SOS aux entrées de bourgs, deviennent de plus en plus fréquents sur les routes de France. Dans ces communes, des administrés n’ont plus de médecin traitant. Cela pose problème jusqu’aux Ehpad, dont certains se retrouvent sans médecin coordinateur…

Dans la communauté de communes de Haute-Saintonge, au sud de la Charente-Maritime, le maire de Saint-Ciers-du-Taillon, Patrick Cherat, vient de planter ses deux banderoles. « Il paraît que cela a réussi à Cozes… » Le village de 500 habitants est traversé par la même départementale qui mène de la ville littorale de Royan à l’entrée de l’autoroute vers Bordeaux. Alors il tente.

Oui, « cela a marché », confirme Graziella Bordage, la maire de Cozes (2 193 hab.), à 25 km au nord. La banderole est pourtant toujours visible au rond-point d’entrée de ce territoire. Mais la maire a le sourire. Trois généralistes l’ont contactée. L’un d’eux s’est déjà installé, en novembre dernier, dans l’ancien cabinet médical en partie rénové par la commune. Un deuxième l’a rejoint en janvier. Le troisième devrait s’établir en octobre prochain. La maire hésite à retirer le calicot car « il nous en manque encore ». Une chose est sûre, l’idée a été profitable et moins onéreuse qu’une précédente tentative de recrutement via une petite annonce dans la presse spécialisée, «2 700 euros pour trois mois et aucun contact ! »

L’élue a fait de l’accès aux soins l’une des priorités de son mandat. «C’est un engagement de campagne que je me dois de tenir. » Sa commune avait vu partir le dernier médecin en mars 2020. «Il ne voulait pas rester seul. » Ils étaient cinq quelques mois plus tôt. «Nous avons eu l’idée de racheter les murs du cabinet médical pour y ouvrir un centre de santé, puisque le salariat semble plus attirant aujourd’hui pour les jeunes praticiens. Mais nous avons eu des craintes sur notre capacité à supporter financièrement le projet », explique l’élue. Elle a donc réuni les professionnels de santé de sa commune : pharmaciens, sages-femmes, orthophonistes, dentistes, etc.

De là est venue l’idée de cette banderole, et celle de créer une maison de santé pluridisciplinaire (MSP). La commune a mûri ce second projet avec la fédération des maisons de santé et l’agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine. En février 2022, la maire a, de nouveau, rassemblé l’ensemble des professionnels pour vérifier que tout le monde était bien partant. C’est désormais la fédération des MSP qui va les épauler dans la construction du projet territorial de santé nécessaire pour prétendre à une labellisation et aux financements de l’ARS. 

À la limite entre le Gers et le Lot-et-Garonne, le village d’Astaffort (2 100 hab.) a déjà sa maison médicale de santé. Les murs appartiennent à la communauté d’agglomération d’Agen. Cela n’empêche pas de voir suspendu sur une place du village le message suivant : « Aidez-nous à financer la recherche de deux médecins. » Car la maison de santé ne compte plus que deux médecins dont l’un part en retraite ce mois de mars, sur les quatre qui exerçaient encore fin 2020.

Dans « le village de Francis Cabrel » comme disent les habitants ici, c’est justement grâce au chanteur que la quête d’un médecin a fait le tour de l’Hexagone, dans une vidéo devenue virale où il donne de la voix… « Sauf que cela n’a pas suffi », se désole le maire, Paul Bonnet. Un médecin étranger, un autre retraité de 82 ans ont proposé leur service. La pêche est infructueuse. Ici aussi, « on tente tout ou presque », en passant par le chasseur de têtes (« 6 000 euros la tête ! »). « Mais comme il ne nous en a pas trouvé, pour l’instant cela ne coûte rien », précise le maire. Il est aussi allé « vendre » le village en allant à la rencontre de jeunes internes. En attendant, « on gère la pénurie, on cherche à s’organiser pour que le médecin garde la coordination de l’Ehpad et qu’une infirmière puisse l’épauler pour certains actes », explique-t-il. 
 

Les maisons de santé, encore une valeur sûre

La vogue des maisons de santé serait-elle passée ? Sans doute pas, car l’outil colle à l’évolution des pratiques vers un exercice coordonné entre professionnels de santé. Il permet en outre de mailler le territoire en pariant sur le fait que la concurrence devienne ainsi moins vive entre les communes.

Au conseil départemental du Lot-et-Garonne, on reste convaincu que c’était et cela reste la bonne chose à faire. Selon les projections, ce département risquait de chuter à moins de 190 médecins, il en compte aujourd’hui 229. « On a limité la casse », se félicite Pascale Trijaud, chargée de mission de la Commission départementale de la démographie médicale (CODDEM), l’instance originale créée en 2009 qui a permis d’anticiper la désertification médicale.  

Le département a été découpé en 15 aires de santé sur lesquelles a été projetée la création de 23 maisons de santé, avec l’appui des communautés de communes ou d’agglomération. Le maillage s’achève douze ans plus tard, avec l’extension de certaines maisons et la construction des dernières, comme sur la communauté de communes (CC) des Bastides en Haut-Agenais Périgord (43 communes, 17 609 hab.). Quatre maisons de santé, une par canton, y étaient prévues.

Les élus ont mis les moyens, bien aidés par la région, le département et l’ARS, en dotant chacune d’une spécificité : un logement pour des internes ou des remplaçants, une salle de télémédecine (que les médecins rechignent à investir), une autre d’urgence, un cabinet de dentiste. Les investissements se comptent en millions. 

L’une de ces 43 communes, Monflanquin (2 383 hab.) a accueilli la première maison de santé, en 2016. Immense, elle héberge aussi l’ADMR (Association d’aide à domicile en milieu rural) et une équipe mixte psycho-rééducative pour enfants, adolescents et jeunes adultes. Philippe Furlan fait visiter les lieux. Le masseur-kinésithérapeute partage un local avec un collègue. C’est lui qui préside l’association « Santé 4 », réunissant les professionnels de santé qui gèrent la maison. Seul le local du dentiste est vide, à la suite du départ d’un homologue roumain.

Mais ce qui le taraude le plus, c’est le récent départ d’un médecin. Il ne reste que deux généralistes. Avec des charges communes (au prorata de la surface louée de la maison) à répartir sur deux praticiens au lieu de trois. Les tensions sont visibles pour l’un des médecins, prêt à lâcher la barque. 

Les élus dépensent pour éviter les déserts médicaux ! Parfois trop, glissent certains, inquiets de la surenchère. «A-t-on le choix ? », interroge l’un d’eux. En Dordogne, une maison de santé en préfabriqué est sortie de terre en urgence pour accueillir un médecin qui menaçait de quitter le Bergeracois.

Ailleurs, une commune offre la première année «sans loyer ni charges » aux médecins qui intègrent une maison de santé, puis une «participation » aux charges la deuxième année et un «petit loyer » la troisième année, avec l’engagement tout de même, signé dans une convention, que les médecins s’y installent cinq ans. «On ne peut pas avoir tout gratuit et ne pas rester », grommelle une élue. Le président de l’Intersyndicale nationale des internes, Gaëtan Casanova, lui aussi bouillonne (lire ci-dessous) car il sait que des communes «se saignent pour un mercenaire qui partira au bout de deux ans ». 
 

TEMOIGNAGE
Gaëtan Casanova, président de l’Intersyndicale nationale des internes
« Miser sur la mutualisation des moyens »
« Le nombre de médecins par habitant chute, on en manque partout, et cela va continuer ­jusqu’en 2030 en raison des départs à la retraite. 

À l’inverse, la population augmente. Un médecin met neuf ans à se former, donc il ne faut pas espérer d’inflexion avant le cap de 2030. Si on peut s’appuyer sur la hausse du nombre de médecins formés, cela ne suffira pas à long terme. On ne peut pas compter sur des solutions rapides à un problème chronique.

Nous devons nous pencher sur le temps médical, et nous avons des marges de progrès via notamment la numérisation. Se pose aussi la question de la réorganisation de la structuration du système de santé, avec, par exemple, la délégation de compétence, les pratiques avancées sur le suivi de pathologies chroniques. La question de la demande de soins est aussi à interroger. Le dépistage des troubles sensoriels chez les enfants n’est pas, à ce jour, à la hauteur car on manque de médecins scolaires.

Bref, il faut repenser la santé en globalité. Et tourner le dos aux idées comme le conventionnement sélectif (en Allemagne et au Canada, cela n’a pas marché).

Les communes doivent plutôt miser sur la mutualisation de moyens. J’attends qu’on ré-autorise la médecine foraine (ou itinérante). Il suffirait d’un décret pour cela. Comme le boulanger qui fait sa tournée, on doit imaginer des bus itinérants équipés pour réaliser les examens de base. Mais le Conseil de l’Ordre des médecins y est opposé sans que l’on sache vraiment pourquoi… » 

 

Des ponts d’or et des effets d’aubaine 

Des maires citent encore un médecin davantage intéressé par la prime de 50 000 euros à laquelle il peut prétendre en zone d’intervention prioritaire (ZIP), une fois tous les trois ans, juste en changeant de département... Ces ZIP sont cartographiées par l’Agence régionale de santé.

Une nouvelle carte du Lot-et-Garonne va bientôt être dévoilée. Les rares zones qui n’étaient pas prioritaires vont le devenir. Un mal pour un bien pour la CC des Bastides en Haut-Agenais Périgord, car l’EPCI est coupé en deux : une partie du territoire est éligible aux primes pour les médecins ou pour les dentistes s’y installant, pas l’autre. Difficile, dans ces conditions, d’éviter la concurrence. Les communes avaient pourtant veillé à ce que le prix de location au mètre carré de leurs maisons de santé soit le même. 

Du côté des administrés, les accusations pèsent parfois lourdement sur ces maires «qui déshabillent Pierre pour habiller Paul ». «C’est vrai que cela nous met parfois en concurrence, reconnaît une élue. Mais après tout, ce sont des libéraux ! » Pour ce trio de retraités rencontrés aux abords d’une maison médicale de santé, les élus font ce qu’ils peuvent, mais parfois mal. «Il faudrait bien un jour que l’on oblige les médecins à s’installer là où il en manque. Sinon, ce sera toujours au plus offrant ! »

L’idée revient dans toutes les conversations. Beaucoup de maires estiment qu’il serait temps d’y réfléchir. «Car on voit bien que ce que l’on propose ne suffit pas », glisse Agnès Couderc, maire de Bournel (Lot-et-Garonne, 257 hab.) et vice-présidente de la CC des Bastides en Haut-Agenais Périgord. «Pourquoi voulez-vous que des jeunes qui n’ont aucune attache dans la Creuse aillent s’y installer. Bien sûr que l’on choisit de rester près de ses proches ! », s’emporte Gaëtan Casanova. 

« On devrait élargir le recrutement des étudiants en favorisant l’accès aux études de médecine de jeunes hors des villes ou des quartiers », propose plutôt le Dr Baptiste Luacès. À 20 km d’Agen, dans l’un des bureaux de la maison de santé de Port-Sainte-Marie (1 846 hab.), le jeune médecin, 40 ans, est le deuxième plus âgé de l’équipe. Il s’est installé en 2012 sur la commune, attiré par le projet de pôle de santé. 
Il a fallu attendre cinq années avant que celui-ci voit le jour et que les médecins et autres professionnels de santé puissent le développer.
 

Quelles pistes pour demain ?

Les médecins y ont organisé «une plage de soins non programmés » et, à tour de rôle, «on reçoit les patients des autres collègues si besoin une après-midi ». Pour le Dr Luacès, cela fait partie des attraits de cet exercice regroupé, centré sur le temps médical, coordonné avec les fichiers partagés, et ouvert sur des projets d’éducation à la santé en lien avec les autres acteurs, notamment sociaux, de la commune. Six généralistes y exercent.

Le Dr Luacès est persuadé qu’il faut à la fois rapprocher les études des territoires et modifier l’uniformité sociologique des médecins. Les études de médecine sont celles «qui comptent le moins de boursiers. Or, on sait que l’on s’installe plus dans des territoires dont on est issu. Pourquoi ne pas penser à des prépas dans des lycées ruraux ? », questionne Gaëtan Casanova.
 
Joël Hocquelet, maire de Marmande (18 008 hab.), vice-président du conseil départemental du Lot-et-Garonne, médecin et surtout élu référent «démographie médicale » depuis 2009, se réjouit. Il apprécie l’initiative débutée à Agen, où des étudiants peuvent suivre les cours de première année de médecine sans se rendre à Bordeaux. « Ils réussissent aussi bien ! » Dans certaines communes, les maires se disent prêts à aider des jeunes à entamer leurs études de médecine. 

L’avenir sera peut-être aux cabines de téléconsultation qui se sont multipliées avec le Covid.

Dans un village de Dordogne où le dernier médecin vient de dévisser sa plaque, une employée de pharmacie explique y avoir eu recours pour sa belle-fille enceinte. « En 15 minutes, elle avait un contact avec un médecin installé à Paris, qui l’a auscultée en la laissant faire à distance les gestes », précise-t-elle. Tensiomètre, languettes pour « dire 33 », stéthoscope… sont mis à la disposition des patients. Une élue d’un autre département raconte avoir utilisé ce dispositif lorsqu’il n’était pas possible d’attendre cinq jours le rendez-vous chez un médecin. « En 30 minutes, nous avions un rendez-vous quand, en plein week-end, et alors qu’il n’y a plus de permanence de soins, nous n’avions d’autre choix que de filer aux urgences. »

L’utilisation de ces cabines doit être encadrée. Cela ne remplace pas une présence médicale physique. L’AMF plaide en tout cas pour la mise en place d’un «maillage territorial fin de la santé » et un «renforcement des liens entre la médecine de ville et la médecine hospitalière » considérant que «leur présence respective sécurise leur maintien sur le territoire et permet d’apporter des réponses aux personnes ». Elle formulera des propositions précises dans sa contribution adressée aux candidats à la présidentielle.
 

A noter : 17 mars, date anniversaire du premier confinement, la Fédération hospitalière de France (FHF) organise une journée d’hommage aux professionnels de santé et un grand oral des candidats à la présidentielle sur la santé et l’autonomie, avec le soutien de 55 organisations du secteur. L’AMF s’associe à cette initiative. www.fhf.fr
 

Ce que change la loi 3DS
La loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS) installe auprès du président du conseil d’administration de l’ARS – le préfet de région – quatre vice-présidents désignés, pour trois d’entre eux, parmi les représentants des collectivités territoriales.

Le CA de l’ARS effectuera un bilan régulier de la désertification médicale et pourra formuler des préconisations (art. 119). Les contrats locaux de santé comportent un volet consacré à la santé mentale. Ils sont conclus en priorité dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins (art. 122).

Les communes et leurs EPCI peuvent concourir au financement du programme d’investissements des établissements de santé publics, privés d’intérêt collectif et privés (art. 126). Lorsque les centres de santé sont gérés par les collectivités territoriales ou leurs EPCI, les professionnels qui exercent au sein de ces structures «peuvent être des agents de ces collectivités ou de leurs groupements » (art. 127). 

 

Emmanuelle Stroesser
n°399 - MARS 2022