C’est le cas de Bernard Laget, maire de Châteauneuf (1 650 hab., Loire), mathématicien, ancien directeur de l’École nationale d’ingénieurs de Saint-Étienne. Lors de la rénovation en centre d’activité d’un château, patrimoine de la commune, il décide, avec le Syndicat intercommunal d’énergie de la Loire (SIEL), d’y autoconsommer de l’électricité éolienne et photovoltaïque. L’électricité en surplus est stockée non dans des batteries, «pas très écologiques », mais sous forme d’hydrogène produit par électrolyse de l’eau. Ce gaz est ensuite injecté en hiver dans les brûleurs de la chaudière du château. « Cela marche si bien que nous avons déposé un brevet. » Une deuxième chaudière, installée en partenariat avec De Dietrich, fonctionne à 100 % à l’H2.
L’amortissement de l’investissement, déduction faite des subventions, est payé par les charges locatives des entreprises et des associations installées dans le château. Plus classiquement, les collectivités recourent à l’H2 pour les mobilités lourdes ou intensives, bus ou bennes à ordure ménagère (BOM) qui demandent une puissance et une autonomie auxquelles une batterie électrique répond mal.
Au Mans (72), un bus à hydrogène circule depuis septembre 2020, ainsi qu’une BOM en test. « Pour décarboner le transport, nous aurons une dizaine de bus et six à huit BOM dans le centre-ville », détaille Fabienne Lagarde, vice-présidente de Le Mans Métropole (19 communes, 206 000 hab.) chargée de l’écosystème hydrogène.
« Les industriels doivent avoir des commandes pour se lancer. Le rôle des collectivités est de les soutenir. Nous avons lancé un groupement de commandes pour des BOM avec Angers et Dijon. D’autres villes nous contactent pour le suivant. Au total, nous en commanderons plus de 30. » Une BOM à H2 revient à 850 000 € (250 000 € pour une benne traditionnelle). Un surcoût couvert en grande partie par des subventions de la région, de l’Ademe et de l’Europe. En attendant des économies d’échelle à venir.
L’H2 étant un vecteur énergétique coûteux à stocker et à transporter, le mieux est de le consommer près de son lieu de production. L’électricité issue de la valorisation des déchets du Mans est aujourd’hui injectée dans le réseau. Demain, elle produira de l’H2 par électrolyse.
« Dans la Sarthe, nous étudions une expérimentation de transformation de la biomasse du chanvre en hydrogène et en méthane par gazéification. Le chanvre, culture de rotation, demande peu d’eau, de traitement phytosanitaire, stocke le carbone dans le sol et viendrait d’un rayon de 35 km. Mais, pour l’instant, la réglementation interdit d’injecter du biométhane dans le réseau », regrette la vice-présidente. En attendant, l’H2 consommé vient d’un électrolyseur en sortie d’un parc éolien de Vendée.
Lors de son élection, en 2020, Crescent Marault, président de la communauté d’agglomération de l’Auxerrois (29 communes, 68 000 hab., Yonne), décide de prendre son temps. Il n’y aura jamais de retour sur investissement si celui-ci ne porte que sur la mobilité. D’où la volonté de déployer un écosystème sur tout le territoire en répondant à l’appel à projet « Écosystèmes territoriaux hydrogène » et en inaugurant, en octobre 2021, une station de production et de distribution d’H2 qui alimente cinq bus, bientôt des BOM, puis, en 2024, des trains. Le président aura dû convaincre les élus de l’agglomération : « On ne peut travailler qu’à l’échelle de l’agglomération. Je discute avec le département et la région pour envisager un maillage territorial national. »
Lorient agglomération (25 communes, 205 000 hab., Morbihan) aimerait produire son H2. « Mais il faut un foncier important, beaucoup d’eau, de l’électricité verte à proximité », constate Bruno Paris, vice-président chargé de la transition écologique. Pour alimenter les bus et bateaux dont elle s’équipe progressivement, l’agglomération a fait le « pari » d’être propriétaire de sa station d’avitaillement exploitée en marché global de performance. « Les coûts de fonctionnement seront réduits, ce qui diminuera le coût final de l’hydrogène livré. »
Le coût de l’H2 est son point faible. L’H2 « gris » (définition ci-dessous), utilisé dans l’industrie (mais exclu pour les collectivités), coûte 1,50 €/kg. L’Ademe demande aux collectivités un prix à la pompe inférieur à 10 €/kg afin de préserver la viabilité financière des projets.
« Si l’on n’atteint pas 6-8 €/kg à la pompe, on n’est pas compétitif », affirme Claire Bourgeois-République, vice-présidente du Grand-Dôle (45 communes, 55 000 hab., Jura), chargée du développement économique. Cette filière est développée prudemment, en travaillant un écosystème sur un rayon de 200 km autour de l’agglomération, avec la métropole de Dijon, des opérateurs de transports lourds, des industriels…
« Depuis 20 ans, les élus cherchaient comment valoriser les 9 000 tonnes d’H2/an, produits lors de la fabrication du chlore et brûlés jusqu’à maintenant, car il faut des investissements massifs dans un compresseur pour le ramener à la bonne pression. » La vice-présidente met en garde : « Pour atteindre l’équilibre financier de la filière H2, il faut une consommation massive. Je crains qu’il n’y ait des déconvenues lorsque les projets ne disposeront plus d’argent public. »