Lors de l’accident de Lubrizol, Charlotte Goujon, maire du Petit-Quevilly (22 800 hab., Seine-Maritime), a vécu un véritable abandon de la part des services de l’état. «La préfecture a appelé la ville pour obtenir des barrières. Puis, plus rien… », déplore-t-elle. La demande de la ville d’être associée à la cellule de crise est refusée. S’ensuit une série de couacs dans la communication de crise : informations contradictoires sur les communes concernées par l’annonce de la fermeture des écoles ; annonce par la préfecture du confinement des habitants sur un certain périmètre, suivi de l’annonce de leur évacuation… alors que, pendant ce temps, ils s’étaient d’eux-mêmes réfugiés sur un parking de supermarché. Charlotte Goujon fait finalement savoir son mécontentement lors d’une réunion à la préfecture dont elle apprend la tenue… par la presse.
L’information de la population devrait être un chantier permanent et reposer sur des échanges entre l’état, les industriels, les riverains, les associations, les collectivités.
Le plan d’action « Tous résilients face aux risques » présenté, le 18 octobre 2021, par Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, comporte l’organisation d’une journée annuelle de la résilience face aux risques, les 13 octobre. «Un premier pas » pour Alban Bruneau qui souhaite travailler collectivement et organiser des exercices grandeur nature pour une population «pas toujours au fait ». Le volet opérationnel des plans communaux de sauvegarde (PCS) est en effet souvent le maillon faible et les exercices de mise en œuvre plutôt rares. L’information et la sensibilisation des habitants ne peuvent pourtant se limiter à une communication dans le bulletin municipal, à des prospectus dans les boîtes aux lettres.
La loi du 25 novembre 2021 visant à consolider le modèle de sécurité civile prévoit justement un renforcement des mesures en la matière (lire ci-dessous). Delphine Favre, déléguée générale de l’association Amaris, le souligne : «la population doit être associée aux comités de pilotage, comme à Gonfreville-l’Orcher. Les habitants ne doivent pas être seulement informés mais être coconstructeurs de la prévention et être associés aux décisions ». Pour elle, «on ne fait pas de prévention sans les gens, sans ceux qui mettent en œuvre les mesures. » Ce qui inclut les maires.
L’alerte des populations en cas d’événement exige une attention particulière. Le code des sirènes n’est pas toujours bien compris et ne donne pas d’indications particulières. à condition d’être elles-mêmes informées à temps et de disposer des numéros de téléphone des particuliers, certaines collectivités alertent par SMS ou messagerie vocale.
Plus efficaces, le SMS géolocalisé et le «cell broadcast ». Le premier s’adresse à tous les téléphones portables de la zone concernée, et non seulement à la population d’une commune. Mais la diffusion du message prend du temps. Le deuxième, le «cell broadcast » (diffusion cellulaire), permet d’envoyer très vite une alerte sur une zone définie à tous les détenteurs d’un téléphone. Inconvénient : il faut disposer d’un smartphone. L’état commencera à déployer ces technologies à partir de 2022 pour couvrir l’ensemble du territoire en 2024, se conformant ainsi à une directive européenne de 2018. Parallèlement à l’alerte officielle, «il faut vite investir les réseaux sociaux », conseillait Maritxu Penez, responsable du service risques majeurs à Caux Seine Agglo (76), lors d’une matinée organisée par l’Institut des risques majeurs (IRMA), le 14 octobre. Sinon, gare aux rumeurs et aux fausses informations.
En 2003, la loi relative à la prévention des risques technologiques et naturels impose la réduction des risques à la source. Le niveau des mesures à prendre est matérialisé par un zonage de couleur dans les plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Ainsi 16 000 logements existants doivent être soumis à des travaux de renforcement. Près de vingt ans plus tard, ceux-ci n’ont été réalisés que dans 1 500 d’entre eux. Comme souvent, l’obstacle est financier. Le financement tripartite prévu (industriels, crédit d’impôt et collectivités locales) couvre 90 % des frais. «Les 10 % restants sont un frein », reconnaît Alban Bruneau. Le Havre Seine Métropole a accepté d’assumer ces 10 %. «Reste la contrainte du crédit d’impôt, poursuit l’élu. Le montant à payer par les ménages peut atteindre 8 000 €, trop pour certains propriétaires. La commune de Gonfreville-l’Orcher avance donc ce montant. «Sur 290 logements concernés, 50 % des travaux ont été réalisés, 25 % sont dans les tuyaux. Reste à convaincre 25 % des propriétaires ».
Au-delà de l’habitat, les entreprises et établissements recevant du public ont une obligation de protection des salariés et visiteurs. Protection qui ne dispose ni de doctrine ni de mesures d’accompagnement. Lillebonne (9 000 hab., Seine-Maritime) est soumise aux risques toxique, thermique, inondation, transport de matières dangereuses… Sa maison de l’intercommunalité, qui doit veiller à la protection de 90 agents et de 200 visiteurs, a donc intégré un dispositif d’alerte par l’industriel dans son plan de communication d’urgence et prévoit une alerte interne par sifflet. Des exercices réguliers sont organisés et trois zones de mise à l’abri, une par niveau, ont été définies à l’issue des exercices.
Mais «comment mettre en sécurité le personnel, le public et les passants en cœur de ville un jour de marché ? », s’interroge Jacques-Olivier Panier, chef du service gestion des risques à Saint-Fons (19 200 hab., Rhône). La population se précipite vers les écoles, les salles disponibles, les commerces… Saint-Fons a ainsi entrepris d’intégrer la totalité de ses bâtiments municipaux dans la prise en charge du public et du personnel. Les 53 sites disposent des mêmes consignes adaptées aux différents types d’alerte. Après avoir testé en 2015 un plan d’organisation et de mise en sûreté d’un établissement (POMSE) dans les bibliothèques de la ville, un POMSE «standard » est élaboré puis, en 2018, décliné sur 40 sites environ. Depuis 2019, élus et agents sont formés, des exercices organisés, des malles avec du matériel de survie livrées sur les sites. «Elles contiennent du sucre, des couvertures de survie, des verres, du matériel d’alerte et d’hygiène, des moyens d’étanchéité…, énumère Jacques-Olivier Panier. Outre leur intérêt pratique, elles rassurent le personnel en lui donnant les moyens d’agir. » Reste le problème des commerçants : «Ils sont des acteurs cruciaux, insiste Delphine Favre. Or, on ne sait comment renforcer une vitrine, créer des sas étanches. De plus, ils devraient être formés, ils peuvent relayer les messages. »
Outre les risques industriels (AZF ou Lubrizol, sites Seveso...), de nouveaux risques liés à de nouvelles pratiques peuvent surgir partout sur le territoire, dans des installations peu menaçantes au premier abord. Les méthaniseurs, de plus en plus fréquents sur les exploitations agricoles, qui y trouvent une source de revenu supplémentaire, suscitent ainsi des inquiétudes. La base de données du Bureau d’analyse des risques et pollutions industriels (Barpi) recense 130 incidents de 1996 à 2020. Ainsi, dans la nuit du 17 août 2020, une cuve de digestat du méthaniseur de Châteaulin (5 500 hab., Finistère) déborde et contamine l’Aulne. Conséquences : une prise d’eau potable doit être fermée, restreignant pendant cinq jours l’approvisionnement de 50 communes et impactant 180 000 personnes. La baignade et la pêche sont interdites.
Selon un guide de l’Ineris, «Vers une méthanisation propre, sûre et durable », cette technologie comporte bien des risques d’incendie, d’explosion et d’émissions gazeuses, pris en compte par la réglementation environnementale. Pour Marie-Astrid Soenen, responsable de la cellule économie circulaire et nouvelles énergies à l’Ineris, la meilleure prévention est «la formation des opérateurs à la connaissance du risque » et de ses causes. Le développement de la filière hydrogène décarboné, souhaitée par l’état, impose aussi de former de nouveaux acteurs, remarque Franz Lahaie, référent hydrogène de l’Ineris : «Ce gaz très léger présente peu de risques d’explosion à l’air libre, explique-t-il. Le problème se pose en milieu confiné. » L’hydrogène étant volatile, inflammable et explosif, les lieux de stockage clos doivent être particulièrement surveillés. à prendre en compte par les collectivités qui développeront des flottes à l’hydrogène.
Raffineries et dépôts pétroliers sont de grosses installations très surveillées avec du personnel bien formé. Avec les nouvelles énergies, «on devrait passer de systèmes énergétiques centralisés, avec peu d’acteurs, à des systèmes décentralisés avec une multiplicité d’acteurs, des chaînes logistiques complexes et de nombreuses installations déployées sur le territoire, note Franz Lahaie. Cela implique de développer une gouvernance claire et efficace de la sécurité, dont les maires font partie, et d’éviter une dilution des responsabilités. »
Les centres de traitement de déchets présentent aussi un risque industriel avéré. «Depuis le début de l’année, on y recense plus de 150 départs de feu », déplore François Excoffier, conseiller départemental de Haute-Savoie et président de la Fédération française des entreprises du recyclage (Federec). Tapez «incendie centre traitements déchets » sur internet et vous ferez remonter des accidents quasi quotidiennement, certains aux panaches de fumée spectaculaires. Traditionnellement, les chaleurs estivales provoquent des combustions spontanées, comme à Vert-le-Grand (Essonne), à l’été 2021.
Aux causes habituelles s’ajoutent dorénavant les incendies provoqués par les piles au lithium que l’on trouve partout (batteries et clés de voiture, téléphones portables). Or, ces objets sont souvent mal triés ou jetés avec leur pile. Le Barpi alerte sur le lithium, notamment sur sa «vulnérabilité et dangerosité (…) accrue lors des opérations de collecte, traitement ou recyclage, surtout lors des phases de stockage de ces déchets ». Le lithium, sensible au contact de l’eau et de l’air, peut provoquer explosion, incendie avec pollution de l’air, contamination des eaux. Pour l’exploitant du centre de traitement, l’accident se traduit en outre par une destruction de l’outil industriel, des résiliations de contrat d’assurance. Et... un risque pénal pour lui-même.
La Federec demande donc que les producteurs de déchets créent une filière spécifique et qu’une signalétique informe l’acheteur. Les collectivités, elles, peuvent informer la population et l’appeler à être vigilante sur ces piles. Et actualiser leur plan communal de sauvegarde (PCS), pour anticiper les événements prévisibles, y compris dans les petites communes avec un centre de traitement des déchets. Amaris recommande donc fortement à toutes les communes de se mobiliser.
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