L’Assemblée nationale a adopté, le 11 décembre, le projet de loi d’habilitation qui permettra au gouvernement de légiférer par ordonnance pour faire face aux conséquences du Brexit. Une intervention qui sera cruciale en cas de Brexit « dur », si l’accord conclu entre la Commission européenne et les autorités britanniques n’est pas ratifié par le Parlement britannique. « À ce stade, nous sommes dans une période d’évaluation, dans la mesure où la forme exacte que prendra le Brexit n’est pas entièrement connue », constate Forough Salami-Dadkhah, conseillère régionale de Bretagne pour les questions européennes et internationales. Comme d’autres régions concernées, de l’Occitanie aux Hauts-de-France, la Bretagne a amorcé une démarche de sensibilisation auprès des entreprises et rencontre les autorités européennes et le coordinateur français, Vincent Pourquery de Boisserin, nommé par le Premier ministre, en octobre, pour gérer les conséquences du Brexit sur les ports français. À des degrés divers, ces régions seront affectées essentiellement dans cinq secteurs.
Résidents britanniques. Sur les quelque 150 000 Britanniques vivant en France, 39 000 ont choisi de s’établir en Nouvelle-Aquitaine. Viennent ensuite l’Occitanie (17 %) et l’Île-de-France (13 %). En Bretagne, beaucoup des 14 000 résidents britanniques « ont choisi de vivre dans des zones rurales, contribuant à leur revitalisation, remarque Forough Salami-Dadkhah. Ils sont très impliqués dans les associations et contribuent au maintien de services publics. » L’accord négocié entre la Commission européenne et les autorités britanniques préserverait les droits des résidents déjà installés en matière de santé, de retraite ou d’accès à l’éducation. En cas de Brexit « dur » en revanche, les ordonnances du gouvernement devront préciser ces dispositions. Dans l’immédiat, c’est surtout la dévaluation de la livre sterling qui risque d’avoir un impact sur les résidents britanniques, signale un rapport du Conseil économique social et environnemental régional de Bretagne. Selon la banque centrale britannique, un Brexit « dur » pourrait entraîner un effondrement de cette monnaie de 25 %.
Pêche. Le retrait britannique risque d’affecter 30 % des captures des pêcheurs français et même 50 % en Bretagne et 75 % pour les Hauts-de-France, évalue le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins. En Vendée, « 30 % des droits de pêche sont dans les eaux britanniques », note Marc Joulaud, eurodéputé de l’Ouest (lire ci-contre). Or, Londres compte désormais mettre en avant «l’intérêt des pêcheurs britanniques » qui, en 2016, ont voté à 92 % en faveur du Brexit. À l’inverse, la dévaluation de la livre sterling risque de jouer contre les exportations françaises au Royaume-Uni.
Installations portuaires. « Dur » ou « soft », le divorce avec le Royaume-Uni entraînera davantage de contrôles douaniers et phytosanitaires. Or, tous les ports français ne sont pas équipés. En Bretagne, Brest est plus avancé que Saint-Malo ou Roscoff, équipées pour l’inspection des végétaux mais pas pour être un point d’entrée communautaire.
Partout, régions, communes et le coordinateur gouvernemental charger de gérer les conséquences du Brexit sur les ports et territoires français réfléchissent aux zones disponibles pour installer des points de contrôle. Outre ces espaces nécessaires, «les moyens financiers et humains manquent », souligne la sénatrice des Côtes-d’Armor, Christine Prunaud. Le préfet des Hauts-de-France, Michel Lalande, s’est inquiété de ce manque de moyens dans un courrier adressé au ministre de l’Intérieur. Dès l’entrée en vigueur du Brexit le 29 mars 2019, « la durée moyenne de contrôle sera doublée, avec une répercussion sur la fluidité des points de passage frontière » à Calais, Dunkerque, Coquelles et à la gare de Lille-Europe, a-t-il prévenu. Il faudrait, selon lui, créer 250 nouveaux postes dans la police des frontières. Les seuls ports de Dunkerque et de Calais auraient besoin de 195 nouveaux agents. Au total, les moyens nécessaires en Normandie sont estimés entre 20 et 30 Me dans le cas d’un Brexit « dur ».
Liaisons maritimes. Les ports français se sont également mobilisés contre le projet de la Commission européenne de réorienter le corridor maritime mer du Nord-Méditerranée, afin de rediriger vers Anvers et Rotterdam les flux de marchandise en provenance d’Irlande, qui transitaient jusque-là par l’Angleterre. Objectif : utiliser les ports déjà équipés pour les contrôles de marchandise et de personnes. « Il y a eu beaucoup de confusion sur le sujet, estime Forough Salami-Dadkhah. Pour modifier la route, il faudrait déjà qu’il y ait une demande de l’Irlande, ce qui n’est pas le cas. » Pour anticiper, la région Bretagne poursuit en tout cas les contacts avec les Irlandais.
À première vue, Calais et Dunkerque pourront sans doute tirer leur épingle du jeu. Ce sera plus difficile ailleurs. De fait, le Sénat a adopté, le 30 novembre, une résolution demandant une dotation budgétaire européenne pour que les ports français de Brest, Roscoff, Saint-Malo, Cherbourg, Caen-Ouistreham, Dieppe, Le Havre, Rouen, Calais et Dunkerque puissent accueillir le fret destiné ou en provenance de l’Irlande. « L’évo-lution est inéluctable, même si l’échéance précise reste incertaine », note le Sénat.
Aéroports et tourisme. Les Britanniques représentent la première clientèle étrangère en Bretagne, 29 % des nuitées en Gironde, 19 % dans les Pyrénées-Atlantiques et 17 % en Charente-Maritime. Lors de son congrès, en novembre dernier, l’Union des aéroports français a alerté les pouvoirs publics sur les conséquences de ce tarissement pour les petits aéroports. Le marché britannique représente 90 % du trafic à Limoges, 80 % à Bergerac, 77 % à Grenoble et 58 % à Béziers…
Malgré les impacts multiples du Brexit sur les collectivités et les acteurs économiques français, « la Commission européenne a adopté une attitude attentiste qui maintient le statu quo », alertent les eurodéputés français, Marc Joulaud, et néerlandais, Lambert van Nistelrooij, en réclamant un fonds d’aide européen (lire ci-dessus). Le Comité européen des régions a également adopté, en mai 2018, une résolution demandant un soutien aux autorités régionales et locales. En France, le gouvernement vient de créer un portail « se préparer au Brexit » (https://brexit.gouv.fr).