Interco et territoires
22/12/2021
Intercommunalité Sécurité - sécurité civile

Risque incendie. L'inquiétude des territoires ruraux

Selon un rapport sénatorial, la réforme de la défense extérieure contre l'incendie engagée en 2011 est décevante. Focus sur plusieurs pistes d'améliorations.

Pour soutenir les communes, il est proposé de flécher la dotation d'équipement des territoires ruraux pour aider au financement de projets de défense extérieure contre l'incendie.
Présenté le 8 juillet dernier par les sénateurs Hervé Maurey (Eure) et Franck Montaugé (Gers), au nom de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat, le rapport intitulé « Assurer la protection des personnes sans nuire aux territoires » pointe les difficultés d’application de la réforme de la défense extérieure contre l’incendie (DECI), portée par la loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration du droit. 


La DECI, «qui s’articule autour des notions de protection des personnes et des biens, de zones à défendre et de ressources en eau », rappellent les sénateurs, est assurée par les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). Jusqu’en 2011, elle relevait d’une logique nationale, les normes règlementaires ayant vocation à s’appliquer uniformément sur l’ensemble du territoire national. La loi du 17 mai 2011 change tout en prévoyant l’élaboration de règlements dans chaque département (RDDECI), au terme d’une concertation entre le préfet, le SDIS, le conseil départemental et les maires. Objectif : apporter une réponse plus adaptée et mieux territorialisée aux enjeux de la DECI.

Sur le papier, l’idée était d’assouplir l’organisation de la DECI pour les maires et d’adapter ses contraintes à chaque territoire. Dans les faits, le contraire s’est produit, estiment les sénateurs. En cause, la concertation insuffisante voire inexistante, en amont de la rédaction des règlements départementaux, entre «les fournisseurs d’eau d’extinction des feux, c’est-à-dire les maires (ou ceux à qui la compétence a été transférée) » et «les utilisateurs de cet hydrant, c’est-à-dire les SDIS ». Car ni la loi de 2011 ni son décret d’application du 27 février 2015 n’ont encadré cette concertation, «laissée de facto à l’appréciation des préfets ». Au terme d’une enquête menée par la Délégation dans une quinzaine de départements, «70 % des maires estiment que la concertation a été insuffisante », souligne Hervé Maurey. 
 

Faire émerger une culture partagée du risque

À la concertation défaillante s’est ajoutée, selon le rapport, une quasi absence d’évaluation préalable ou a posteriori de l’impact du règlement, avec trois conséquences principales pour les communes et leurs habitants. 

Premièrement, «la couverture DECI est déficiente », les rapporteurs affirmant que « 6 à 7 millions de personnes ne sont pas couvertes par cette protection ».

Deuxièmement, le coût à la charge des petites communes rurales qui doivent se conformer au RDDECI (règlement départemental de défense extérieure contre l’incendie) est très important : un tiers des préfets interrogés par les auteurs du rapport soulignent que « de nombreux maires » ont fait remonter des difficultés de financement et « certaines communes consacrent l’intégralité de leur budget d’investissement à ce poste », a indiqué Hervé Maurey. À l’image d’Adrien ­Teyssedou, maire de Gavaudun (Lot-et-Garonne, lire ci-dessous).

Troisièmement, les contraintes posées par le RDDECI ont des conséquences « urbanistiques et en termes de développement et d’attractivité des territoires », les élus « devant geler les certificats d’urbanisme et les autorisations de construction ». 
 

TEMOIGNAGE
Adrien Teyssedou, maire de Gavaudun
Lot-et-Garonne)  
« Le coût de la mise aux normes
est démesuré »
Nous sommes un territoire rural, avec un habitat diffus. Une rivière traverse le village et une quarantaine de poches d’eau sont recensées. Nous avons cherché à aménager des chemins d’accès pour permettre le pompage de l’eau de ces poches. Mais les terrains appartiennent à des propriétaires privés. Nous avons essayé de nous accorder, mais aucun outil juridique fiable n’existe. Des conventions-types devraient être fournies aux élus pour sécuriser les interventions. Autre facteur bloquant : le coût de la mise aux normes, démesuré pour des petites communes. Nous l’avons évalué à 8 000 euros par poche d’eau, sans compter l’achat des ­terrains. La mise aux normes absorberait toute notre capacité d’investissement. Mais la délivrance de permis de construire en dépend : nous avons déjà dû en refuser. La commune ne peut plus accueillir de nouveaux ­habitants, alors que nous nous ­battons pour que l’école du village reste ouverte. »


Du côté des SDIS, le ton est plus nuancé. Auditionné par les sénateurs, Olivier Richefou, président de la Conférence nationale des services d’incendie et secours (CNSIS), à la tête du conseil départemental de la Mayenne, partage le besoin accru d’« adaptation territoriale ». Dans les faits, l’élu estime que les échanges « dépendent beaucoup des relations locales entre élus et SDIS. Mais la plupart du temps, la concertation a lieu », souligne-t-il en pointant la nécessité « d’une culture du risque partagée » entre les acteurs locaux.

Nommé le 1er octobre à la direction du SDIS de Loire-Atlantique, Stéphane Morin rappelle que la réforme de 2011 a abouti à une territorialisation des normes. Dans son département, il constate un « bon retour d’information et d’échanges sur l’état du réseau », de même que « des évolutions techniques partagées avec les élus ». Tout en entendant la problématique financière pour certaines communes qui, selon lui, n’est pas du ressort des SDIS : « notre rôle est de garantir une permanence de l’eau, dans le respect du règlement départemental », rappelle-t-il. Le rapport propose de « faire précéder les décisions relatives au règlement départemental d’une étude d’impact », pour en mesurer les conséquences notamment financières sur les communes. 
 

Répartir les coûts entre sdis et communes

Pour accompagner les communes contraintes par les RDDECI, les sénateurs demandent à ce que soit affecté à la DECI 1,2 milliard d’euros sur trois ans dans le cadre du plan France relance. Et préconisent de «généraliser dans tous les départements le recours à la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) pour le financement de projets de DECI », avec un «taux de soutien pouvant aller jusqu’à 100 % du montant du projet ». Ils suggèrent aussi une meilleure répartition des coûts entre SDIS et communes.

Le président de la CNSIS, Olivier Richefou, appuie la préconisation des sénateurs de flécher la DETR vers la DECI selon les besoins des territoires. Thierry Lagneau, maire de Sorgues, président du SDIS 84 et référent sécurité civile de l’AMF, est, de son côté, plus réservé. Il souligne en effet que «si on flèche 100 % de la DETR vers la DECI, on ne pourra plus l’utiliser pour d’autres besoins ».

Autre recommandation des rapporteurs : les SDIS devraient renforcer leur soutien aux communes en matière technique et d’ingénierie, notamment pour le contrôle et la mise aux normes des points d’eau incendie. Un sujet important comme l’illustre l’exemple de la commune de Heurteauville (Seine-Maritime, 304 habitants), située sur un étroit cordon dunaire de 7 kilomètres, entre la Seine et les étangs de la Harelle. À la suite d’un contrôle du SDIS, les quatre bouches à incendie ont toutes été déclarées non conformes aux normes de la DECI, leur débit étant insuffisant. Or, étant en bout du réseau d’eau potable, cette commune «ne pourra jamais obtenir un débit en mètres cubes suffisant pour répondre à la norme », a expliqué son maire aux rapporteurs.  
 

Défense incendie :  quelles suites ?
Le rapport a été présenté, le 30 septembre, à la ministre de la Cohésion des territoires, qui, selon Hervé Maurey, «a compris la nécessité de remettre à plat la DECI ». La future loi 3DS intègre dans sa version issue du Sénat la proposition visant à procéder à une évaluation globale de la réforme de 2011.
Le texte prévoit que le gouvernement fasse un rapport sur l’« évaluation de la mise en œuvre des règles départementales de la DECI » d’ici au 1er juillet 2022. Une première réponse positive, mais insuffisante pour le sénateur. Le ministre de l’Intérieur, compétent en matière de sécurité civile, n’a pas encore répondu aux suites qu’il donnera au rapport.
Hervé Maurey va déposer des amendements au projet de loi de finances 2022, et envisage de porter une proposition de loi afin que les travaux du Sénat sur le sujet ne se réduisent pas à «un nouveau rapport… sur un rapport ». 
Caroline Saint-André
n°396 - DECEMBRE 2021