Le Parlement vote en moyenne 47 textes par an, quand nos voisins anglais ou allemands n’en votent « qu’une quinzaine », assure Rémy Pointereau. Le gouvernement met en avant ses efforts sur le nombre de circulaires avec une réduction du stock de normes « de 30 000 à 10 000 » textes en quatre ans. Mais ils contrastent par exemple avec la multiplication du nombre d’ordonnances : 125 sur la seule année 2020 selon les statistiques de la norme (accessibles sur Legifrance)… Un record ! Jamais leur nombre n’avait été aussi haut, l’ancien record datant de 2005 avec 85 ordonnances.
Plus des trois quarts de ces textes ont été consacrés à la gestion de la crise sanitaire, selon le SGG. Lors de son audition au Sénat en février dernier, Claire Landais, secrétaire générale du gouvernement, relevait que la crise sanitaire avait « été source de règles nouvelles : 7 projets de loi, 130 ordonnances » et qu’elle mettait « en lumière des signes inquiétants d’inflation normative ». La crise sanitaire cache un engouement français systémique pour la norme. Le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) a examiné, entre septembre 2020 et septembre 2021, 319 projets de textes relatifs aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics dont le coût financier atteint 367 millions d’euros.
Signe que l’élection présidentielle approche, le sujet revient peu à peu dans le débat public. Plusieurs candidats potentiels prônent un énième choc de simplification. En clôture du 103e Congrès des maires, Emmanuel Macron a rappelé avoir fait voter la loi organique du 19 avril 2021 sur la simplification des expérimentations « qui permet de déroger aux normes quand la situation l’exige ». Mais la France peut-elle arriver à mener à bien le chantier de désinflation des normes ?
Le président de l’AMF, David Lisnard, ardent combattant de la «folie bureaucratique française », veut que l’association soit «force d’action, de proposition et de vigilance », en soutenant l’action d’Alain Lambert, président du CNEN (lire ci-dessous). «Un long chemin reste à parcourir, notamment du point de vue culturel. Il conviendrait qu’ensemble, nous tous, acteurs gravitant autour de la norme, procédions à un changement de logiciel, pour une frugalité et une excellence normative », estime Françoise Gatel, présidente de la Délégation aux collectivités territoriales du Sénat.
Le 12 avril dernier, la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin, lâchait à propos de l’état d’avancement inégal des vingt-cinq réformes du gouvernement scrutées à travers un baromètre des résultats qu’il s’agissait «moins [d’]un sujet de normes que d’organisation » [de l’État et de ses services]… Les nombreuses actions de simplifications normatives ont souvent été concomitantes de réorganisations des services de l’État, sans pour autant arriver à enrayer la machine.
Le chantier est tel que gouvernement et Parlement ont changé d’approche. Il ne s’agit plus tant de s’attaquer au stock ou au flux des normes mais à leur application sur le terrain avec le pouvoir pour les préfets d’y déroger. Cette nouvelle arme anti-normes a fait l’objet d’une expérimentation jusqu’en novembre 2019. « Sur 21 départements expérimentateurs, 130 dérogations ont été accordées en 18 mois, 101 au profit de projets menés par les collectivités », annonçait Amélie de Montchalin en avril dernier devant le Sénat.
Ce pouvoir de déroger aux normes pour un motif d’intérêt général a été pérennisé par le décret n° 2020-412 du 8 avril 2020. Le projet de loi 3DS devrait renforcer à nouveau les pouvoirs du préfet de département. Ce pouvoir de dérogation est appuyé par un nouveau pôle, «France expérimentation », qui doit aider les entreprises à déroger à la norme dans certaines conditions. L’équivalent pour l’administration est en cours de déploiement selon la délégation interministérielle à la transformation publique : « France expérimentation – Administrations ». Cet outil est destiné «prioritairement aux préfets, sous-préfets à la relance et aux services déconcentrés de l’État » lorsqu’il y a des blocages administratifs et juridiques qui ne peuvent pas être résolus au niveau local et qu’il y a besoin d’accélérer les projets ayant un impact économique significatif.
Sur le terrain, l’effet du pouvoir de dérogation des préfets semble toutefois très limité selon Rémy Pointereau : « Les préfets semblent frileux, peut-être par principe de précaution. À un moment, il faut aussi prendre ses responsabilités ! Notre objectif est d’évaluer l’usage de cet outil. »
La tendance est en effet davantage à l’évaluation des normes. L’Allemagne et son Nationaler Normenkontrollrat (NKR) – Conseil national de contrôle des normes – sert d’exemple. Outre-Rhin, « deux ans après le vote d’une loi, le gouvernement vérifie son application, les coûts, explique Rémy Pointereau. En France, l’évaluation ex-post est quasi inexistante. Les “Printemps de l’évaluation” de l’Assemblée nationale ne couvrent pas systématiquement toutes les politiques publiques. Nous voudrions, nous, impulser une nouvelle méthode législative avec une évaluation de toutes les politiques publiques dans les deux ans après le vote des textes.
La Délégation du Sénat aux collectivités territoriales va lancer une évaluation des mesures de la loi pour l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Élan) de 2018 sur la revitalisation des centres-bourgs et des centres-villes. Nous devons évaluer ce que l’on vote ! »
Dans le projet de loi 3DS, les sénateurs ont introduit des mesures pour renforcer le dialogue entre les collectivités et les préfets sur les projets d’aménagement et d’urbanisme à travers une conférence de dialogue ; l’évaluation des politiques publiques locales grâce à l’appui des chambres régionales des comptes (art. 74) ; les prérogatives du CNEN. Le tout est maintenant de savoir ce qu’il ressortira du texte après son examen par l’Assemblée nationale en décembre…