Sur le terrain, le sujet s’avère délicat, pour ne pas dire sensible, car susceptible de tourner au conflit. La frilosité se fait ressentir. Bon nombre de collectivités renégocient le temps de travail pour entrer dans les clous des 1 607 heures. Certains élus locaux sont confrontés à des grèves. Et fuient les médias par peur de la déclaration malencontreuse, mal interprétée, voire instrumentalisée par des acteurs locaux.
Un moyen de déminer les situations tendues est de faire en sorte qu’elles... n’apparaissent pas. En pratiquant par exemple ce que l’association Réalités du dialogue social nomme le «dialogue informel », c’est-à-dire le dialogue qui a lieu «hors des procédures régulières et obligatoires ». Par opposition au «dialogue formel » qui relève des différentes instances comme les comités techniques.
Quelle que soit la taille de la commune, ce dialogue «quotidien » existe et s’avère primordial. «Ma porte est toujours ouverte, les syndicats peuvent m’appeler quand ils veulent. Je fais toujours en sorte que les dossiers aient abouti au consensus avant d’arriver en comité technique, ce qui fait qu’il y a très rarement de votes négatifs au sein de cette instance », explique Béatrice de Lavalette, adjointe au maire de Suresnes (49 257 hab., Hauts-de-Seine), déléguée au dialogue social, à l’innovation sociale et aux ressources humaines.
À l’échelon intercommunal, «le dialogue social passe par les syndicats, mais il se fait aussi par ailleurs, quotidiennement, en permanence avec les agents sur les aménagements de poste, sur la façon de travailler…, assure Christophe Iacobbi, maire d’Allons (140 hab., Alpes-de-Haute-Provence) et vice-président de la communauté de communes Alpes Provence Verdon (11 677 hab., 41 communes, 130 agents). Dans notre intercommunalité, nous avons une très grande proximité. Les agents de la communauté sont aussi souvent des élus des communes. Nous n’attendons donc pas le comité technique pour nous parler. C’est le cas pour le télétravail que l’on est en train de finaliser. La discussion prime ». Les collectivités qui le peuvent oscillent entre proximité et appui sur l’administration. C’est le cas de Christophe Iacobbi : «la direction générale des services a des réunions hebdomadaires avec les directions de services, ce qui permet déjà de faire remonter un certain nombre de problématiques et d’apporter des réponses particulières. Pour les questions plus générales, nous avons aussi le service ressources humaines (RH) avec trois agents qui se chargent de la gestion RH. En comité technique, nous abordons des sujets plus politiques. Notre organisation est bien en place. Sur le terrain, à ma connaissance, il y a peu d’interventions en dehors de ces champs balisés ».
Mais lorsque les élus fuient leur rôle d’employeur, il peut être compliqué pour leur successeur de s’imposer face à des services qui ont entre-temps dû répondre aux urgences et prendre en quelque sorte la place. Chantal Gantch, qui est aussi élue au centre de gestion de la Gironde, a vu des cas de secrétaires de mairie «endosser un rôle décisionnaire qui n’était pas le leur. Les élus passent, les agents restent. Il y a parfois des tensions en raison d’habitudes prises par le passé. Souvent en raison de la négligence et du manque de formation des employeurs sur les sujets de fonction publique territoriale ».
Dans l’ensemble, lorsque dialogue social il y a, les conflits se font rares. Du fait en premier lieu de «l’état d’esprit des agents très engagés et très impliqués dans la collectivité », selon Christophe Iacobbi. «Dans nos communes rurales, les conflits sont plus le fait de caractères que de missions, poursuit Chantal Gantch. Les relations y sont moins objectivées sur le plan professionnel que dans des collectivités plus importantes. » Quand le conflit s’envenime, un maire de petite commune se trouve bien démuni : «On peut toujours envisager une mobilité, mais on ne peut pas non plus embêter nos communes voisines. En cas de procédures devant le juge ou autre, un maire a toutes les chances de perdre ce qui a un coût pour la commune. Parfois, nous sommes bien obligés d’attendre que l’agent en question prenne sa retraite… »
Christophe Iacobbi regrette la perte de certains outils de dialogue. «En l’absence de moyens, on pouvait accorder un jour comme avantage. On n’a plus cette marge de manœuvre. La protection sociale complémentaire peut être un levier de discussion, les agents ont besoin de se soigner, d’avoir une mutuelle, donc il s’agit de les aider un maximum. Le bien-être au travail constitue aussi un autre levier : par exemple, associer les agents à la réflexion sur leur espace de travail lors d’une construction ou d’une rénovation des bureaux, une réorganisation. Prendre l’avis de chacun, c’est déjà être dans le dialogue social ! »